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peuplée, vingt cardinaux y ont leur monument. Leurs statues dorment sur la pierre ; d’autres effigies rêvent à demi couchées, ou prient ; souvent il n’y a qu’un buste, parfois une seule tête de mort au-dessus d’une inscription et d’un mémorial ; plusieurs sépulcres sont dans le pavé, et les pieds des fidèles ont usé le relief des figures. Partout la mort présente et palpable ; sous la dalle funéraire, on sent qu’il y a des ossemens, les misérables débris d’un homme, et ces froides formes de marbre immobile qui reposent éternellement dans le coin d’une chapelle, levant leur doigt maigre, sont tout ce qui subsiste d’une chaude vie frémissante, qui s’est brûlée avec des flamboiemens et des éclairs aux yeux du monde, pour ne laisser d’elle-même qu’un petit tas de cendre. Nos églises de France n’ont pas cette pompe mortuaire. Dans ce cimetière de marbre, parmi ces magnificences et ces menaces, devant ces chapelles aussi brillantes que l’agate et parées d’os en sautoir, devant ces statues de saints imposans et ces crânes de cuivre qui luisent incrustés dans la pierre, on est ébloui et on a peur. C’est avec des décorations riches et des dénoûmens meurtriers que nos théâtres populaires prennent le peuple.

Le procédé est bien plus visible encore chez les capucins de la place Barberini. Nous avons rencontré en arrivant un enterrement qui passait ; par derrière marchait une procession de moines blancs, des cierges à la main, et leurs yeux noirs luisaient, seuls vivans, à travers leurs cagoules. Une seconde file suivait, celle des capucins, quelques-uns à barbe grise, la tête toute blanche, roulant dans leurs mains les grains de leur chapelet et chantant je ne sais quelle psalmodie lugubre. Nous en voyons de pareils à l’Opéra, où ils font rire. Ici le sérieux de la mort vous prend à la gorge.

Nous sommes entrés dans leur couvent, qui est médiocre. La longue arcade intérieure est tapissée de mauvais portraits de moines avec des inscriptions en vers sur la mort, toutes édifiantes, c’est-à-dire terrifiantes. Ces pauvres gens, presque tous d’âge mûr, inutiles, sans parens, sans amis, ayant employé leur vie à s’éteindre, font peine à voir. Sur les murs sont des imprimés indiquant les prières et stations de la semaine sainte qui procurent l’indulgence plénière, puis les pratiques d’efficacité moindre par lesquelles on gagne dix années d’indulgences applicables à autrui et partant transmissibles. À quoi un moine ordinaire peut-il songer ici, sinon à s’approvisionner de pardons ? C’est un gros capital à gagner ; s’il a des amis, un neveu, un filleul, un vieux père mort, il leur fera cadeau de son surplus. Tout son souci doit être de bien employer son temps, de choisir les chapelles les plus fructueuses, de faire le plus de génuflexions et de récitations qu’il pourra. S’il est bon