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vient d’apparaître après un siècle de silence, et ce témoin n’est autre que l’agent même de Frédéric II, ce trop célèbre Freytag immortalisé par les sarcasmes de Voltaire. Un des derniers représentans de la tradition du XVIIIe siècle en Allemagne et l’un des hommes qui ont inauguré l’âge nouveau, un ami de Goethe et d’Henri Heine, M. Varnhagen d’Ense, a eu l’heureuse chance de retrouver à Berlin presque toutes les pièces de ce singulier procès, les ordres de Frédéric, les rapports de M. le baron de Freytag, son résident à Francfort, les lettres de ce même baron aux ministres du roi, ses communications avec ses employés, ses requêtes, ses plaintes, ses cris, bref tout le dossier de l’aventure, un dossier sur Voltaire rédigé par une chancellerie tudesque[1] ! Ce dossier, M. Varnhagen d’Ense l’a étudié avec une partialité tout allemande ; je voudrais le débrouiller sans parti-pris. Il s’agit de détails qui ont leur importance, puisqu’ils éclairent d’un jour nouveau un épisode intéressant à plus d’un titre de l’histoire du XVIIIe siècle ; mais ni l’Allemagne ni la France, il faut le dire tout de suite, ne sont engagées dans ce débat.


I

Nous n’avons pas à raconter en détail les querelles d’académie et d’antichambre à la suite desquelles l’auteur du Mondain fut obligé de quitter la cour de Prusse ; qu’il nous soit permis seulement de les rappeler en peu de mots pour la commodité de notre récit. C’est tant pis pour Voltaire, si, au moment d’apprécier sa parole dans l’aventure de Francfort, nous le trouvons à Berlin en flagrant délit d’injustice et de cruauté envers un écrivain français des plus respectables et qu’il avait précédemment glorifié lui-même en termes magnifiques. La raillerie de Voltaire, à quelque objet qu’elle s’attaque, est tellement incisive, que tous ses adversaires, sérieux ou frivoles, innocens ou coupables, une fois atteints et mordus, en ont gardé la trace. Qu’est-ce que Maupertuis aujourd’hui pour quiconque admet la tradition sans y regarder de près ? Un personnage ridicule et burlesque. Qu’était ce même homme il y a cent ans ? On peut le comparer à ce qu’a été de nos jours M. Alexandre de Humboldt. La république des sciences n’avait guère de citoyen plus considérable. Disciple de Newton, il avait été le premier interprète, le premier défenseur des découvertes du savant anglais contre les partisans de la physique cartésienne. En 1736, âgé de trente-huit ans

  1. Denkwürdigkeiten und vermischte Schriften, von K. A. Varnhagen von Ense, achter Baud ; Leipzig 1859. — C’est un recueil des œuvres posthumes de Varnhagen publiées par sa nièce, Mlle Ludmila Assing.