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On connaît les adversaires publics de Voltaire, et ils inspirent en général si peu de sympathie que leurs attaques, bien loin de le décréditer auprès de la foule, ont plutôt faussé le jugement public en sens contraire. N’est-il pas curieux d’entendre ici l’opinion d’un sage, d’un noble vieillard accoutumé à peser ses paroles ? La lettre est vive, ce sont des conseils à la prussienne ; mais sous la rudesse de la forme il y a des vérités bonnes à recueillir. « Empêchez votre oncle de faire des folies, il les fait aussi bien que des vers ! » Voilà donc ce qu’on pouvait dire sans passion, hélas ! de l’homme qui avait constitué à lui seul pendant trente ans le parti de l’humanité, et qui allait protester encore jusqu’à son dernier souffle contre les iniquités du vieux monde ! Au reste, s’il va se laisser entraîner à plus d’une folie dans cette misérable aventure, les agens du roi de Prusse à Francfort seront les premiers coupables.


II

Voltaire était allé au-devant des conseils de milord Maréchal ; il s’était soumis déjà malgré les excitations de ses amis, et il attendait patiemment l’arrivée du ballot de Leipzig, quand le langage de Freytag lui fit soupçonner que l’arrivée même de ce ballot ne serait pas le terme de son emprisonnement. Le roi ne peut pas cependant lui faire un procès de tendance, le roi ne peut le séquestrer ainsi pour les propos qu’il a tenus et ceux qu’il peut tenir encore. Que lui veut-on enfin ? La lettre de milord Maréchal lui rappelle un certain contrat passé entre le souverain et le poète au sujet de l’installation de Voltaire à Berlin. Le roi paraît tenir absolument à ce contrat ; Voltaire affirme qu’il l’a perdu. Si c’est là ce qui motive les nouvelles rigueurs dont on le menace, il fera écrire par Mme Denis deux lettres qui donnent toute satisfaction à cet égard. Nous les avons, ces lettres ; M. Varnhagen en a retrouvé les brouillons corrigés de la main de Voltaire. La première, adressée au ministre prussien à Paris, est conçue en ces termes (c’est une réponse à la réclamation du roi) :

« J’ai à peine la force de vous écrire, mylord. J’arrive ici très malade, et j’y trouve mon oncle mourant et en prison dans une auberge abominable. Il est affligé de la colère d’un prince qu’il a adoré et qu’il voudrait aimer encore ; mais son innocence lui donne un courage dont je suis étonnée moi-même au milieu de tous les maux qui l’environnent. Il est très vrai qu’il n’a point le contrat dont il est question, il est très vrai qu’il a cru me l’avoir envoyé et que peut-être il me l’a envoyé en effet ; il se peut faire qu’il se soit perdu dans une lettre qui ne me sera point parvenue comme bien d’autres, peut-être aussi sera-t-il dans cette caisse qui est en chemin pour revenir ou dans ses papiers à Paris. Pour obvier à tous ces