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fleurs jaunes des verges d’or et les grappes brunes des soumacs, qui partout bordaient la voie. Ils cherchaient peut-être, sans pouvoir la trouver, quelque cabane, quelque masure, quelque trace de misère ; mais si la nature américaine conserve encore çà et là la grâce du désordre, si parfois un arbre mort se mêle aux arbres vivans, si des fleurs sauvages bordent les champs cultivés, toutes les demeures de l’homme, construites avec soin, ont je ne sais quel air décent et achevé qui étonne toujours le voyageur européen.

Jusqu’à Portland, le chemin de fer s’éloigne peu de la mer, qui étincelle et frissonne sous le soleil radieux. Sa frange d’écume vient battre capricieusement les rochers sauvages de Nahant, baiser les grèves de Marblehead et mourir au pied des belles forêts de pins de Beverley. À Newbury-Port, on traverse l’embouchure de la rivière Merrimac, à Portsmouth celle du Piscatagua ; les cours d’eau ont conservé les beaux noms indiens, les villes n’ont pour la plupart que des noms de hasard et étrangers. Dans les vallées s’étendent des prés marécageux où la haute marée pénètre et laisse sur les herbes une poussière saline ; on y garde en tas le foin, qu’on dispose sur de petits pilotis pour le mettre à l’abri des hautes eaux. Des sables et des graviers qui couvrent les rivages du Nouveau-Hampshire et du Maine sortent çà et là, comme des murailles, des collines rocheuses, arrondies et usées. Les pâturages succèdent aux bois, les bois aux pâturages : les feuilles dentelées des érables, rouges, jaunes, violettes, purpurines, se découpent sur le sombre fond des sapins ou sur la verdure bleuâtre des grands pins. On ne se lasse point d’admirer cette riche végétation, dont le déclin est plus splendide que la maturité ; les coteaux boisés ressemblent de loin à la palette d’un peintre. Les chênes, à la fin de septembre, gardent encore leur couleur ordinaire, mais tous les autres arbres non résineux sont déjà touchés par la main de l’automne.

Portland a une rade magnifique ; les schistes presque verticaux de la côte s’y enfoncent sous la mer et forment une enceinte où peuvent entrer sans difficulté les plus grands vaisseaux du monde. Le Great-Eastern, auquel tant de ports sont fermés, y peut pénétrer. On compte à Portland vingt-cinq églises pour une population de 25,000 habitans. L’esprit puritain a poussé de profondes racines chez tous ces pêcheurs et ces bûcherons du Maine. Un soldat qui retournait à Bangor me racontait les pénibles marches qu’il avait faites dans la dernière campagne d’été en Virginie. « Il fallait tout jeter, monsieur, havre-sacs, couvertures, habits de rechange. Le jour vint où je jetai ma bible de poche qui ne m’avait pas quitté depuis deux ans. » A l’armée, il était resté fidèle au Maine liquor law et n’avait jamais trempé ses lèvres que dans de l’eau. Le nord n’a peut-être pas de meilleurs régimens que ceux de cette province,