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composés d’hommes grands, robustes, sobres, patiens chasseurs, bûcherons hardis ; le log-house de leurs forêts, construit avec des troncs non équarris, a servi de modèle aux abris que les fédéraux construisent dans leurs quartiers d’hiver. Depuis le commencement de la guerre ; le Maine a fourni en tout 61,000 hommes à l’armée et à la marine des États-Unis, c’est-à-dire près d’un dixième de sa population entière. Dans la seule année 1864, cet état a donné 1,846 matelots et 17,148 soldats, sur lesquels 3,525 étaient dès vétérans réengagés.

Les quais de Portland et toutes les gares de chemins de fer du Maine sont encombrés de troncs de pins et de planchés. Le centre principal du commerce du bois est pourtant Bangor, sur la rivière Penobscot. Le pin blanc (pinus strobus) est l’essence la plus recherchée de la grande forêt qui couvre sans interruption la moitié septentrionale du Maine, la plus grande partie du Nouveau-Brunswick, le nord-est de l’état de New-York et les parties adjacentes du Canada. Cet arbre, au feuillage clair et aux longues pointes, peut atteindre jusqu’à soixante mètres de hauteur. On s’en sert exclusivement pour la construction des mâts, et le bois, découpé en planches, en lattes, en tuiles, en pièces de toute forme et de toute grandeur, est expédié dans tous les États-Unis. Les arbres résineux couvrent tout le plateau situé entre l’Atlantique et le Saint-Laurent. Les eaux du Maine se versent au nord dans le Saint-Jean et dans la rivière Chaudière, au sud dans le Penobscot et le Kennebec, qui descendent vers les fiords de la côte. Un archipel de lacs, s’il est permis d’employer cette expression, interrompt seul la monotonie du désert de verdure. Les niveaux ne sont que peu différens, et les bateliers passent de l’un à l’autre par de courts portages (c’est l’expression adoptée depuis longtemps par les Canadiens). Suivant me vieille tradition indienne, le Penobscot pourrait couler à son gré, soit au nord, soit au sud.

À partir de Portland, le chemin de fer qui va de Boston au Canada traverse des régions boisées et solitaires ; le manteau des salles et des graviers couvre de ses ondulations la charpente rocheuse qui surgit par intervalles en murs de plus en plus élevés. Le long de la voie, il ne reste souvent dans la forêt que des souches noircies : on les a même parfois arrachées, et les racines hérissées forment les premières clôtures des champs. Le vocabulaire de la géographie américaine est fécond en surprises : nous voici tout d’un coup à Oxford, puis un peu plus loin à Paris ; ce Paris inconnu se compose de quelques maisons perdues dans les érables et les chênes de la vallée du Petit-Androscoggin. Le soleil couchant jette ses dernières flammes sur l’or et sur la pourpre des bois, il jaunit les lacs endormis où la rivière a ses sources ; Un peu au-delà, on descend