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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/893

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eût peut-être été capable de rendre la terrible majesté de ce spectacle ; c’est Ruysdaël. Il eût choisi sans doute quelque jour où les eaux sont plus sombres, où les grands nuages traînans promènent les ombres plus lourdes et plus menaçantes, où les rapides semblent irrités, où les sapins se penchent sous un vent froid et furieux. La chute canadienne m’a fait penser tout de suite, au grand paysagiste de l’école flamande. De ce côté, rien ne dépare la sévérité du tableau. Du côté américain, les rapides sont gâtés par des usines et des maisons. On voudrait faire la solitude autour de ce lieu ; il n’y faudrait qu’eaux, bois et rochers. On voudrait abattre ces hôtels qui ressemblent à des casernes, ces boutiques où l’on vend au naïf voyageur des contrefaçons de l’industrie primitive des Indiens, arcs, mocassins, écrans de plumes ornés d’oiseaux aux couleurs éclatantes, boîtes en écorce de bouleau, brodées avec les poils colorés du mouse et des grains de verre, raquettes pointues qui servent à marcher sur la neige. Il reste encore une petite tribu indienne aux environs du village de Niagara ; mais ce n’est pas ici qu’il faut venir chercher l’homme rouge avec sa, coiffure en plumes d’aigle, ses colliers, ses ceintures bariolées, ses jambières frangées : j’aperçus seulement deux Indiennes assises sur un tronc d’arbre, la tête enveloppée de sombres capuches. Dans les antichambres de l’Hôtel de la Cataracte, je fis aussi rencontre d’un homme au teint cuivré, vêtu avec une fausse élégance ; ses cheveux noirs et luisans étaient soigneusement séparés en boucles ; une grosse épingle en faux diamans brillait sur sa chemise d’une blancheur douteuse. Son sourire obséquieux laissait voir des dents brillantes et bien rangées. Je me détournai avec pitié de ce représentant dégénéré d’une noble race que la civilisation dégrade avant de l’anéantir…


II.

Le Canada occidental, que le voyageur traverse en allant du Niagara à Détroit, dans le Michigan, n’offre d’intérêt qu’à l’agriculteur. La forêt y occupe encore, de très grandes surfaces ; mais partout où elle a été coupée s’étendent de beaux champs où les boules d’or des potirons, brillent à travers les tiges du maïs, Autour des maisons, des pommiers déjà vieux se penchent sous leurs fruits. Que dire de Sainte-Catherine, de Hamilton, de London, de toutes ces villes qui se ressemblent, et où la locomotive ne s’arrête qu’un instant ? La géographie connaît à peine ces lieux, à demi villes, à demi villages, où vit une population obscure, sans nationalité bien définie, sans passé comme sans avenir, servante dédaignée d’une métropole lointaine et de plus en plus indifférente. Hamilton, ville grande et prospère, bâtie en pierre, domine le lac Ontario, qui