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ne les nommant plus, il ne serait plus censé les regarder comme ses représentans.

Et les Kabyles à leur tour, qu’ont-ils gagné à la conquête après y avoir perdu cette indépendance qui certes leur était chère ? Qu’on les visite dans leur montagne, et on les trouvera heureux : s’ils ne sont plus indépendans, ils se sentent encore libres ; les droits électoraux, les droits de réunion et de discussion dans la djemâ, ils les conservent aussi étendus que possible ; quand ils craignent, en appelant souvent les mêmes hommes au pouvoir, que ces hommes ne se fassent trop les instrumens de l’autorité française, ils se complaisent, tout comme jadis, à les changer, et aux élections qui ont eu lieu en décembre dernier dans le Djurdjura, la moitié presque des anciens amines n’a pas été réélue. On les trouvera heureux, disons-nous : il n’y a qu’à voir comment leur bien-être s’est accru ; assurés du lendemain, n’étant plus constamment sur le qui-vive ou entre eux ou avec nous, ils sont bien plus libres de travailler, d’aller et de venir qu’aux rudes époques de leur indépendance. Les routes par nous percées, les ponts par nous construits sur la plupart des rivières qui séparent d’Alger la Kabylie, le montagnard s’en réjouit et en profite, et il se souvient qu’autrefois les rivières grossies arrêtaient pendant de longs jours ses communications. Ses villages s’étendent ; des maisons plus comfortables s’y élèvent ; une dechra kabyle née en 1858, aux portes mêmes de Tizi-Ouzou, prospère et s’est déjà peuplée de seize cents âmes. Et que dire de la santé publique, de ce bienfait immense qu’apporta la conquête en donnant au Djurdjura nos médecins ? La médecine et la chirurgie sont dans l’enfance chez les Kabyles ; malgré l’énergie native de cette race et la vigueur qu’elle doit à une vie laborieuse, quand les maladies viennent, l’incurie et la saleté leur prêtent un développement redoutable. Avec quelques infusions d’aromates, quelques frictions d’huile sur les plaies, les malades et les blessés guérissent généralement comme ils peuvent. Traiter les fièvres intermittentes, soigner les coups de feu, réduire des fractures, pratiquer des amputations ou la vaccine, c’était avant la conquête chose inconnue en Kabylie. Dès sa première victoire remportée en 1857 chez les Aït-Iraten, l’armée française fit annoncer dans la montagne qu’à tout Kabyle blessé ou malade, insoumis ou soumis, les soins des médecins français étaient assurés : durant l’expédition même, il en vint jusqu’à cinquante par jour à nos ambulances montrant des plaies affreuses et des maux invétérés. Dans la seule année 1858, on compta 5,400 Kabyles du Djurdjura présens aux visites des médecins de Fort-Napoléon ; l’accès des hôpitaux de nos chefs-lieux de cercle reste ouvert aujourd’hui à tout Kabyle malade aussi bien qu’aux Européens ;