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ceux qui en ont les moyens paient leur séjour à l’hôpital, les indigens y reçoivent des soins gratuits.

Les Kabyles se savent moins imposés que l’Arabe, et ils ne paient à l’état ni l’hokor, loyer de la terre, ni l’achour, dîme sur la récolte, ni le zekkat, droit sur les troupeaux. Leur lezma ou impôt de capitation n’atteint pas en moyenne 8 francs par tête de contribuable ; qu’est-ce que cela en retour de l’accroissement de richesse que la conquête leur a valu ? Cette richesse s’est décuplée certainement depuis leur soumission, et nous avons, — chose inouïe,— entendu citer tel crésus des Aït-Boudrar qui, avec ses produits agricoles et commerciaux, se crée une fortune d’environ 250 francs par jour. Ne voient-ils pas en effet leurs arbres à fruits en plein rapport sans qu’aucune main ennemie les vienne désormais abattre ? N’exportent-ils pas, comme jamais, les ouvrages de leur industrie, et le bijoutier des Aït-Ienni ne se permet-il point d’avoir déjà un petit dépôt de bijouterie à Alger et de faire des boutons de manchette en argent sur les modèles de France ? Une industrie nouvelle est même née dans le Djurdjura ; elle consiste à vendre aux Européens qui habitent les chefs-lieux de cercle le beau raisin qui croît en abondance sur les pentes de la montagne. Dans le cercle de Fort-Napoléon, les Kabyles ont vendu l’an dernier aux colons de quoi faire cinq cents barriques de vin de 210 litres chacune. Or il faut compter 50 francs de raisin par barrique ; voilà donc 25,000 francs d’entrés dans la circulation kabyle avec une denrée dont ils ne tiraient jadis aucun profit.

Mais, pour toucher du doigt leur véritable progrès industriel, considérons l’industrie qui déjà tenait chez eux le premier rang avant la conquête ; nous voulons parler de la fabrication des huiles. On se rappelle que le Kabyle négligeait de soumettre à la presse le noyau de l’olive, ce qui cause une perte évidente sur le rendement ; de plus, conserver les olives dans des cloisons à l’air depuis la fin de l’automne jusqu’au printemps, les faire saisir alors par la chaleur du soleil et traiter par l’eau bouillante le résidu d’une première trituration, c’étaient autant de conditions nuisibles à la qualité des huiles, qui fermentaient et devenaient très fortes en odeur. Il est reconnu que, pour obtenir de l’huile propre à l’usage de la table, il importe d’employer l’olive immédiatement après la cueillette ; toute la fabrication doit donc avoir lieu pendant la saison d’hiver, depuis le mois de novembre jusqu’au mois de mars, et l’on opère dans une maison fermée, afin d’y abriter d’abord le matériel, puis d’y produire à volonté une température qui enlève à l’olive son humidité sans l’exposer à la fermentation. Pour leur usage, les Kabyles préfèrent leur huile indigène ; « au moins, disent-ils, elle sent quelque chose. » En vrais spéculateurs cependant, dès qu’ils