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à construire des fourneaux, à réparer les pièces des appareils, à fabriquer même des presses entières, toutes choses que le Kabyle, adroit de sa nature, sera très apte à pratiquer quand il aura reçu, les leçons de bons maîtres. L’autorité française, qui crée des écoles dans le Djurdjura, ne saurait méconnaître qu’il n’est pas d’enseignement plus propre à flatter les aptitudes kabyles qu’une école des arts et métiers. Un projet qui propose d’établir une première école de ce genre à Fort-Napoléon a été accepté en principe ; on en doit souhaiter la prochaine application. Parmi les ouvriers qui en sortiront, les uns serviront, dans leur montagne, non-seulement à fournir des appareils aux usines, mais à transformer et à perfectionner toutes les constructions indigènes ; les autres iront porter en Algérie l’exemple du travail avec la main-d’œuvre qui manque, et leur métier pourra devenir pour eux-mêmes une nouvelle source de satisfaction et de richesse.

Cependant, si les Kabyles s’enrichissent sous notre domination, s’ils nous restent fidèles et paient régulièrement l’impôt, est-ce assez ? Non ; à l’égard d’une population assimilable et digne d’intérêt, la France a encore une autre tâche à remplir : elle doit s’occuper de réformer les lois kabyles en ce qu’elles ont de trop contraire à nos lois morales. Que d’un accord commun tout village du Djurdjura ait conservé sa coutume intacte à travers les siècles, cela s’expliquait à l’époque de l’indépendance, quand les luttes intérieures si fréquentes faisaient craindre que la coutume ne changeât sans cesse au gré de chaque vainqueur ; depuis la conquête, cette raison n’existe plus. Que d’un autre côté l’autorité française ait reculé devant des réformes fondamentales tant que l’insurrection de 1864 pouvait tout menacer de sa contagion, soit ; mais l’épreuve du Djurdjura est faite : bientôt sans doute on se trouvera libre d’aviser aux innovations désirables, et c’est à relever la condition de la femme qu’il faut s’appliquer d’abord. Une telle réforme nous vaudra d’ailleurs la gratitude de cette moitié de la population dont en Kabylie pas plus qu’ailleurs il n’est permis de dédaigner l’influence. Ainsi que la femme cesse d’être un objet de vente dans le mariage, qu’elle cesse d’être déshéritée dans les successions, voilà deux actes justes que nous devons et pouvons accomplir. Déjà les notables du cercle de Dra-el-Mizan consultés semblent prêts à approuver le premier ; quant au second, la question est délicate. Il s’agit de toucher à la base sociale d’un peuple qui ne comprenait pas jusqu’à ce jour que la terre pût appartenir à d’autres que les mâles. Toutefois des démarches ont été sagement tentées par le commandement français, des djemâs ont été interrogées, et un résultat vraiment sérieux paraît actuellement acquis dans le cercle de Fort-Napoléon : sur les 160 djemâs du cercle,