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contre-temps pour étudier le pays où il était retenu et les indigènes qui habitaient cette région.

Ces indigènes, peu nombreux et vivant en famille avec leurs femmes et leurs enfans, se tiennent en été sur le bord de la mer sous leurs tentes de peaux, ou bien ils émigrent dans leurs bateaux de l’une à l’autre de toutes ces petites baies découpées dans les rivages environnans. Aussi connaissent-ils à merveille la topographie de leur terre natale, et grâce à une mémoire remarquable chez des êtres si dégradés ils sont capables de tracer sur le papier le contour de leurs côtes avec une surprenante exactitude. Dès qu’il arrive un baleinier, ils se mettent volontiers à son service, et, moyennant des rations de biscuit, de café et de tabac, ils se louent comme rameurs pour les longues courses qu’il faut faire dans les baies à la recherche des baleines. Travailleurs peu assidus d’ailleurs, rien ne peut les retenir lorsqu’ils ont résolu d’aller à la chasse aux rennes ou de prendre quelques jours de repos. Leur grande fête est, lorsqu’une baleine est capturée, d’en manger la peau et la chair sans même prendre la peine de les faire cuire. Vivant en toute saison des hasards de la chasse et incapables d’amasser à l’avance des provisions qui ne peuvent pas au reste être conservées pendant longtemps, ils mangent pour plusieurs jours lorsqu’il y a abondance. Un homme civilisé est alors tout étonné de la quantité d’alimens que leur estomac peut ingérer. Pendant la saison d’été, il leur est assez facile de se nourrir. La mer leur fournit des poissons, des phoques et quelquefois des baleines, et l’un de ces cétacés les satisfait pour bien longtemps ; sur la terre, ils trouvent des rennes et des ours blancs, mais pendant l’hiver ces ressources leur échappent en partie, et ils sont alors réduits à la plus misérable condition.

Il est aisé de comprendre que l’adresse et le succès à la chasse font la supériorité d’un homme dans un tel pays. Celui qui tue beaucoup de gibier n’est pas le plus puissant, car les rares familles qui peuplent ces côtes vivent dans une parfaite indépendance les unes des autres, mais il est le plus riche, et il peut à ce titre réunir autour de lui la famille la plus nombreuse, L’un des indigènes les plus remarquables parmi ceux qui fréquentaient l’équipage du George Henry était un nommé Ugarg, qui, grâce à sa force et à son habileté, avait eu successivement treize femmes dont plusieurs étaient encore vivantes ; il avait abandonné la première parce qu’elle ne lui donnait pas d’enfans ; la seconde était morte ; une troisième l’avait quitté, après lui avoir donné plusieurs enfant, pour se joindre à un autre homme ; et ainsi de suite, jusqu’aux deux ou trois dernières qui vivaient encore avec lui ; l’une de celles-ci était venue depuis