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ESSAIS ET NOTICES.

TROIS FEMMES DE LA REVOLUTION[1].


Trois publications nouvelles, — les livres de M. de Lescure sur la princesse de Lamballe, de M. Chéron de Villiers sur Charlotte Corday, et d’un biographe anonyme sur la marquise de Montagu, — ont rappelé l’attention sur trois femmes qui donnèrent à l’une des plus tragiques époques de notre histoire les plus nobles exemples de force morale. Embellies par le double charme de la grâce et de la bonté, elles paraissaient réservées à la vie la plus tranquille, la plus heureuse, quand, précipitées au milieu de terribles catastrophes, elles passèrent en un jour de la timidité de l’enfant au stoïcisme du héros. L’une, victime volontaire, qui s’offre en holocauste pour apaiser le courroux du ciel, subit avec une angélique douceur le martyre du dévouement et de l’amitié ; l’autre sacrifie sa vie dans l’espoir d’arracher la France à une tyrannie sanguinaire ; la troisième doit son illustration récente à des épreuves quelquefois aussi cruelles que la mort même, à l’exil et à la pauvreté. Dans chacune de ces destinées, on retrouve les contrastes qui marquèrent alors l’histoire de la société française tout entière, d’abord des songes enchanteurs, puis un affreux réveil. Qu’on remonte aux jours qui précédèrent ce terrible moment du réveil. Dans la bourgeoisie aussi bien que dans la noblesse, en France comme à Paris, et à Paris comme à la cour, on n’avait à la bouche que les mots de justice et d’honneur, de tolérance et de liberté. C’était un vrai délire de bienveillance et d’espoir. « Comme l’astrologue de la fable, on tombait dans un puits en regardant les astres[2]. » La princesse de Lamballe à Trianon, Charlotte Corday dans l’Abbaye-aux-Dames de Caen, Mme de Montagu à l’hôtel de Noailles, partageaient les mêmes illusions sur l’avenir de l’humanité. Le temps semblait venu où disparaîtraient tous les préjugés, toutes les hontes et toutes les misères. Mme de Lamballe était grande-maîtresse d’une loge maçonnique dont Marie-Antoinette disait : « Dieu y est dans toutes les bouches ; on y fait beaucoup de charités. On élève les enfans des membres pauvres pu décédés, on marie leurs filles. Il n’y a pas de mal à tout cela… Je crois, après tout, qu’on pourrait faire du bien sans tant de cérémonies ; mais il faut laisser à chacun sa manière : pourvu qu’on fasse le bien, qu’importe[3] ? » La bienfaisance, la sensibilité, étaient alors à la

  1. La Princesse de Lamballe, par M. de Lescure ; — Marie-Anne-Charlotte de Corday d’Armont, par M. Chéron de Villiers ; — Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu.
  2. Vie de la princesse de Poix, 1 volume tiré à peu d’exemplaires, par la vicomtesse de Noailles, née en 1791, morte en 1851.
  3. Lettre de Marie-Antoinette à sa sœur Marie-Christine, 26 février 1781.