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mode. Charlotte Corday, unissant dans une même admiration les œuvres de Plutarque et de Jean-Jacques Rousseau, rêvait « une république aux vertus austères, aux dévouemens sublimes, aux actions généreuses. » Quant à Mme de Montagu, petite-fille du maréchal de Noailles et fille du duc d’Ayen, elle vivait au milieu de cette brillante société où « le goût ancien était l’interprète élégant des idées nouvelles. » Deux de ses beaux-frères appartenaient à cette pléiade de paladins philosophes qui avaient été en Amérique les chevaliers de la démocratie. C’étaient le vicomte de Noailles et le marquis de Lafayette. « Ceux qui ont vécu dans ce temps, a dit Mme de Staël, ne sauraient s’empêcher d’avouer qu’on n’a jamais vu tant de vie ni d’esprit nulle part. » Sans rien perdre de sa grâce, la conversation française s’enrichissait de débats sérieux sur les sujets les plus élevés. Les contrastes les plus piquans se manifestaient en toute chose, comme le remarque si bien le comte de Ségur dans ses mémoires ; on parlait d’indépendance dans les camps, de démocratie chez les nobles, de philosophie dans les bals, de morale dans les boudoirs. La jeune noblesse française n’avait jamais eu plus d’entrain, plus d’éclat ; elle passait tour à tour du prestige des mœurs féodales aux douceurs de l’égalité plébéienne ; elle se passionnait pour les mœurs nouvelles, les clubs, les courses de chevaux, les ballons, le magnétisme : elle n’était pas éloignée de l’espoir que la baguette de Mesmer deviendrait le remède universel qui guérirait tous les maux de l’humanité. Sans doute, dans cette aristocratie qui envisageait l’avenir d’un œil si joyeux, si confiant, il y avait bien des inconséquences, bien des puérilités ; mais en revanche quelle foi dans le progrès, quel respect pour la toute-puissance de la philosophie, quel culte pour les œuvres des princes de la pensée ! Les cahiers de la noblesse, rédigés dans les bailliages à la veille des états-généraux, demandaient des droits civils et politiques plus étendus que ceux que la révolution nous a laissés. Les jeunes seigneurs de la cour étaient les premiers à fronder le vieil orgueil féodal, La royauté elle-même prenait l’horreur de l’étiquette, et Marie-Antoinette jouait le Barbier de Séville.

Parmi les femmes de cette cour si brillante, il n’y en avait peut-être pas de plus sympathique et de plus digne de respect que la princesse de Lamballe. Née à Turin, le 8 septembre 1749, Marie-Thérèse-Louise de Savoie-Carignan avait épousé, à l’âge de dix-sept ans, un jeune homme qui n’en avait que dix-neuf, le duc de Lamballe, fils du vertueux duc de Penthièvre et dernier rejeton de la descendance illégitime de Louis XIV. Veuve au bout de quelques mois de mariage, elle consacra sa vie à entourer de soins son beau-père. Belle, riche, honorée, portant à la fois les deux noms les plus illustres du monde, celui de Savoie et celui de Bourbon, il lui aurait été facile de contracter un second mariage dans les plus brillantes conditions. Elle préféra rester fidèle à un souvenir, et pleura un mari indigne d’elle, comme s’il avait été le meilleur des époux. Pieuse de cette piété douce qui est pour le cœur d’une femme une poésie et une sauvegarde, elle chercha la consolation dans une existence recueillie, dans