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un continuel sacrifice de soi-même. M. de Lescure trace un touchant tableau de cette période de la vie de la princesse, et l’on comprend facilement la sympathie qu’elle devait inspirer à la reine. Aux yeux de Marie-Antoinette, dont l’imagination allemande était aussi tendre que rêveuse, la mélancolie de la jeune veuve était un grand charme. Par une sorte d’intuition, elle devina tout ce qu’il y avait de dévouement dans le cœur de Mme de Lamballe et la nomma surintendante de sa maison.

L’horizon cependant n’avait pas tardé à s’assombrir. Mme de Lamballe, qui, à l’époque de la grande faveur des Polignac, s’était tenue à l’écart et ne quittait plus guère les châteaux du duc de Penthièvre, reparut auprès de la reine dès que la reine fut en danger. Elle était à Eu lorsqu’elle apprit ce qui s’était passé à Versailles le 5 octobre 1790. « Il faut que je parte sur-le-champ, » s’écria-t-elle. Le lendemain même, elle arrivait à Paris et s’enfermait avec la famille royale dans le palais des Tuileries, devenu une prison. Au moment de la fuite à Varennes, elle se rendit en Angleterre. Marie-Antoinette voulut l’empêcher de remettre le pied sur le sol de France ; mais elle n’obéit pas. En vain la reine lui écrivait-elle le 22 août 1791 : « Je suis heureuse, ma chère Lamballe, de vous savoir en sûreté dans l’état affreux de nos affaires ; ne revenez point. Je sais bien que votre cœur est fidèle, et je ne veux pas que vous reveniez ; je vous porte à tous malheur… N’ajoutez pas à mes inquiétudes personnelles l’inquiétude pour ce que j’aime. » Et, au milieu de ses douleurs, la reine se souvenait des beaux jours passés. « L’heureux temps, mon cher cœur, écrivait-elle encore, que celui où nous lisions, où nous causions, où nous nous promenions ensemble, sans cri de populace ! Non, encore une fois, ne revenez pas. Ne vous jetez pas dans la gueule du tigre ! » La princesse de Lamballe n’écouta que son cœur. Elle fit son testament, et revint auprès de son amie en novembre 1791. Dès lors elle était à ce poste de dévouement et de danger qu’elle ne devait quitter que pour mourir. C’est ainsi que cette femme si faible, si délicate, qui redoutait le parfum d’un bouquet de violettes, et dont Mme de Genlis tournait en ridicule les défaillances et les évanouissemens, s’enhardissait par le péril et montrait plus d’intelligence, plus de véritable énergie que toute cette noblesse qui, sous prétexte de défendre le roi, l’abandonnait. Sans doute, quand on songe à l’horrible fin réservée à ceux qui restèrent, on n’a pas le courage de blâmer ceux qui partirent. Il faut d’ailleurs le reconnaître, un grand nombre d’émigrés, en quittant la France, croyaient faire acte de dévouement à la cause royale. La biographie de Mme de Montagu fournit à cet égard d’intéressans détails. Elle représente très bien les controverses brûlantes que la question de l’émigration suscitait au sein de la noblesse. Tandis que les uns, comme M. de Montagu, soutenaient avec raison que la fuite était la plus grande faute que pussent commettre les amis du roi, d’autres, comme son père, M. de Beaune, répondaient avec une non moindre énergie que Louis XVI n’était plus libre, que les princes