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ser la liberté sans tomber dans le laisser-aller révolutionnaire, soutenir la cause de la révolution sans inquiéter l’ordre public, ce fut alors, comme depuis, comme toujours, le problème à résoudre pour faire de la société française la base d’un gouvernement digne et durable.

Aucun parti ne s’est, je crois, mieux rendu raison des conditions du problème que le centre gauche de 1820 ; rarement un parti a été moins en mesure de le résoudre. On peut dire que celui-là se personnifiait dans M. Royer-Collard et M. de Serre, tous deux peut-être les premiers hommes de ce temps. On a beaucoup écrit sur le premier ; le second est moins connu. Son éloge a été prononcé à Metz par M. Salmon[1] ; malgré une forme un peu académique, cette notice est très intéressante, elle est très bien faite ; mais elle n’est pas assez historique faute de documens. Il est à regretter que la famille de M. de Serre n’ait pas tiré de ses souvenirs et des écrits et lettres qu’il a dû laisser les élémens d’une biographie complète qui fit revivre sous une image fidèle celui qui a illustré son nom. C’était une âme noble et courageuse, mais mobile et passionnée. Son esprit réunissait l’élévation, la vigueur et l’étendue, et n’avait à se défendre que des entraînemens d’une vive imagination. Son talent grave et animé, habile et véhément, le rendait propre à discuter avec la même supériorité les idées, les lois et les affaires. Je n’ai pas entendu d’homme plus éloquent, aussi naturellement éloquent. Malheureusement cette haute et forte raison ne résistait pas à l’empire des émotions dont la vie publique est semée, et c’est ainsi que deux choses ont manqué à l’ensemble de son caractère politique, le calme et l’unité, L’orateur en lui est resté supérieur à l’homme d’état.

Les événemens qui vers 1820 portèrent le trouble dans tant d’esprits et de situations n’avaient pu passer sans agiter cette nature inquiète et puissante. En s’efforçant de ne rien changer à ses convictions ni à ses vues générales, M. de Serre avait peu à peu quitté le centre gauche pour porter au centre droit le secours d’un talent qui devait plus d’une fois alarmer ceux qu’il venait défendre. Par son tour d’esprit hardi, impérieux et provocateur, qui perçait tous les nuages et déchirait tous les voiles, il était mal à l’aise au milieu de ses nouveaux et circonspects alliés. Une politique prudente qui se ménage, qui se plaît dans les nuances, qui cherche à tourner les difficultés plutôt qu’à les franchir, devait être par lui aussi souvent compromise que sauvée. Il arriva dans le centre droit comme un orage dans un climat tempéré.

  1. Étude sur M. le comte de Serre, Paris 1864.