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Privé de ce grand et redoutable appui, le parti qu’il abandonnait resta sous la garde plus imposante qu’active de M. Royer-Collard. Dans cet esprit puissant, mais contemplatif, qui ne marchait pas de crainte de descendre et qui refusait de se commettre, ne voulant point rabaisser, s’unissaient et se combattaient jusqu’à se faire équilibrera perception la plus nette des besoins de la France nouvelle et l’aversion la plus décidée pour les moyens pratiques de les satisfaire. Or l’équilibre, c’est l’immobilité. M. Royer-Collard sentait la nécessité tout entière ; il l’imposait aux autres, et ne voulait point en accepter le fardeau. Dans l’armée des Grecs, il aurait préféré le rôle de Calchas à celui d’Agamemnon. Et d’ailleurs ce n’est pas avec les forces dont il pouvait disposer qu’il aurait été à cette époque en mesure de faire la loi, soit au royalisme éclairé, soit au libéralisme prudent, dont à tout prix la coalition était nécessaire pour fonder sur une ligne intermédiaire un gouvernement national et modéré.

Il semblait donc que le centre droit fût plus en position de prendre et de garder le pouvoir. Il ne satisfaisait, mais ne désespérait personne. Il ne haïssait pas les situations indécises, les doctrines mitigées, les tempéramens, les compromis : il aurait voulu résister sans irriter et dominer sans bruit ; mais une dissidence trop récente et trop éclatante ne lui permettait plus de regagner ni de rechercher le concours de l’autre centre. Il ne lui restait donc qu’à tenter sur le côté droit ce que le centre gauche désespérait d’essayer sur le parti libéral. Il fallait se concilier, en le modérant, ce parti royaliste en qui la France ne voulait voir que l’armée de l’émigration. Entre le centre et le côté droits, il existait plus d’un lien. Des aversions et des craintes communes les soulevaient l’un et l’autre contre toute apparence révolutionnaire. Toute concession nouvelle aux exigences libérales leur paraissait un mortel péril. C’étaient là des bases suffisantes pour une alliance qu’un seul mot de l’héritier du trône pouvait rendre facile. Cette intervention quasi-royale permit d’exister au ministère du duc de Richelieu. Des intentions très honorables, un désir sincère de conserver les institutions en s’attachant à les affaiblir, une sagesse expectante, une dextérité prudente, la connaissance des hommes et des affaires, firent vivre cette administration tant que la réaction qu’elle venait accomplir eut besoin de modération pour triompher. Cependant, pour prolonger son existence, il lui fallait, avec l’appui du roi, la tolérance de son frère. Or le premier passa bientôt sous une influence occulte et hostile, et les traces des conseils de M. Decazes s’effacèrent avec son souvenir. En même temps le déclin de l’âge le mit davantage à la merci de son successeur, qui se lassa bientôt