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resté aussi inflexible qu’irrité. « Bref, il avait terminé l’entretien, ajouta Joseph, en le chargeant de dire au cardinal Consalvi que lui, Bonaparte, voulait absolument cet article tel qu’il l’avait fait rédiger dans l’exemplaire apporté par l’abbé Bernier. Ainsi le cardinal n’avait qu’un de ces deux partis à prendre, ou admettre cet article tel qu’il était et signer le concordat, ou rompre toute négociation, car il était décidé pour son compte, et dans le grand repas de cette journée, il entendait absolument annoncer ou la conclusion, ou la rupture de l’affaire. »

L’après-midi était maintenant assez avancée. Quelques heures restaient à peine à passer entre le moment où cette dernière sommation lui était si rudement signifiée et celui où devait avoir lieu ce pompeux dîner auquel, pour surcroît de malheur, le pauvre secrétaire d’état du saint-père était tenu d’assister. Ni Joseph, ni l’abbé Bernier, ni le conseiller d’état Cretet ne s’épargnèrent à lui faire sentir quelle responsabilité il assumait sur sa tête et à quelle réception il s’allait exposer de la part d’un homme tel que le premier consul. « J’éprouvais les angoisses de la mort, nous dit Consalvi ; mais mon devoir l’emporta, et avec l’aide du ciel je ne le trahis point. »

Une demi-heure plus tard, Consalvi et ses deux compagnons arrivaient aux Tuileries. Tous les salons étaient pleins de ce même monde qu’il y avait, à sa grande surprise, rencontré déjà le jour de son arrivée. La plus grande partie de l’entourage officiel des consuls, presque tous les grands fonctionnaires de l’état, les principaux généraux et en particulier les aides-de-camp du général Bonaparte, les hommes admis dans son intimité, les femmes même dont il faisait sa société habituelle, n’étaient, on le sait, rien moins que bien disposés à cette époque pour les idées qui attendaient de la conclusion du concordat une satisfaction particulière. Ce n’était point la coutume du nouveau chef du gouvernement français, dans les grandes résolutions qu’il avait à prendre, de se laisser en rien influencer par les sentimens de ceux au milieu desquels il vivait. Son coup d’œil portait plus loin, et sa volonté se déterminait par des motifs sur lesquels l’inclination d’autrui avait bien peu de prise. Cette fois pourtant il ne lui déplaisait pas de montrer à ces personnages, la plupart ou indifférens ou sceptiques, quelques-uns athées de profession, qui lui faisaient cortège, à quel point il était loin, quoi qu’on en ait dit, de céder à un entraînement puéril vers ces croyances religieuses qui passaient dans la belle compagnie du temps pour une marque certaine de faiblesse d’esprit. La passion du moment, le calcul, un certain besoin de se venger de celui qui le tenait en échec, qui sait ? un dernier espoir peut-être de le vaincre