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voyageurs et les guidèrent sur le mont des Oliviers. De quels précieux détails historiques ces fatales rancunes nous ont peut-être privés ! Avec quel intérêt on lirait aujourd’hui les entretiens des deux savans dalmates sur qui se partageait l’attention de l’Occident, non encore portée vers Augustin ! Avec quel charme on suivrait, sous la plume d’un des interlocuteurs, leurs observations, tantôt pratiques, tantôt élevées, sur l’état du christianisme en Orient et en Occident, et les progrès du monachisme dans le monde entier ! Comme on aimerait à retrouver dans leurs épanchemens, après une si longue séparation, ici l’affection calme et protectrice de Rufin, là l’amitié enthousiaste et la parole animée de Jérôme ; chez le premier la logique glaciale, mais puissante, chez le second l’éloquence et la passion ; et, pour cadre à ce tableau, la terrasse du couvent des Oliviers, la ville de Jérusalem au-dessous, les campagnes de Bethléem au midi, celles d’Éphraïm au nord, et à perte de vue, à l’est et à l’ouest, les chaînes de montagnes s’échelonnant sans interruption entre la Grande-Mer et la Mer-Morte ! Si cette entrevue eut lieu, ce fut là sans doute que Paul a puisa, dans les confidences de Mélanie, revenue récemment d’Égypte, le projet du grand voyage qu’elle accomplit l’année suivante.


IV

En quittant la montagne des Oliviers, la petite caravane fit route vers Jéricho, et s’arrêta d’abord à Béthanie, patrie de Lazare et de Marthe et Marie, ses sœurs. Paula voulut entrer dans le sépulcre du mort ressuscité et visiter la maison des deux filles douces et aimantes gracieux symbole de la vie contemplative comparée à la vie réelle. Bethphagé ne les retint pas, et ils gagnèrent, non sans un sentiment de secrète terreur, le défilé dangereux appelé Adomim ou le pas du sang. C’était un lieu redouté de tout temps, et que l’Évangile avait choisi pour y placer la parabole du voyageur percé de coups par des brigands, laissé sur la route par un prêtre et sauvé par un Samaritain. Quoique ce passage mal famé fût alors sous la garde d’un poste militaire romain, on ne cessait point de le regarder comme un repaire de meurtriers et de voleurs. Nos voyageurs le franchirent sans accident, mais non sans deviser longuement sur la dureté du lévite, opposée à la sainte charité de l’infidèle. Le sycomore de Zachée n’obtint d’eux qu’un coup d’œil ; puis ils firent leur entrée dans Jéricho. Quel spectacle attristant y frappa leurs regards ! Trois villes s’étaient succédé dans ce même lieu et y avaient superposé leurs ruines : une ville chananéenne détruite par Josué, une ville juive élevée avec les restes de la pre-