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mière et détruite par les Romains, une ville romaine enfin détruite par la guerre civile. Rien ne survivait de tout cela que de rares maisons éparses, et à peine un village. On n’apercevait même plus dans la campagne l’arbre qui avait fait donner à Jéricho le surnom de ville des palmiers ; la nature avait été dans ses destructions aussi implacable que les hommes. Trois curiosités appelaient aux environs la visite des pèlerins : la maison de la courtisane Rahab, qui reçut chez elle les espions de Josué et fut seule sauvée du massacre des Chananéens ; la fontaine amère qu’Elisée changea en source fécondante et douce en y jetant du sel : on montrait même un pot de terre qui avait, disait-on, appartenu au prophète ; enfin les douze pierres enlevées du lit du Jourdain par les douze tribus comme un monument de leur passage, et dressées dans un champ où la tradition religieuse les avait en partie préservées : Jérôme et ses compagnons s’y rendirent. Il leur restait à voir le Jourdain, dont ils étaient encore séparés par une plaine de deux lieues, aride et brûlante.

La chaleur était excessive, et pour échapper à ses ardeurs Paula voulut qu’on partît la nuit. Le soleil commençait à paraître lorsqu’ils atteignirent les bords du fleuve, où un spectacle émouvant les attendait. L’astre monta en face d’eux, derrière les montagnes d’Ammon, inondant de ses clartés l’ancien campement de Josué, le désert de saint Jean-Baptiste et le Jourdain lui-même, qui semblait porter à la Mer-Morte des nappes de feu. Paula se tenait debout sur la rive, oppressée par l’admiration, et, semblable à une prophétesse du passé, elle se mit à dérouler le tissu des merveilles dont ces grandes scènes avaient été témoins. Ici l’arche d’alliance fendant le courant du Jourdain et les lévites la suivant à pied sec ; là le fleuve redressant ses eaux comme deux murailles pour laisser passer Élie et Elisée ; puis le Christ lui-même, venant se courber sous cette onde, afin que, par la vertu de son baptême, le créateur purifiât toutes les eaux terrestres souillées des impuretés du déluge. Elle peignit alors le vrai soleil de justice s’élevant sur le monde et dissipant les antiques ténèbres sous des rayons mille fois plus resplendissans que ce soleil périssable qui éblouissait leurs regards. Arrachés avec peine à ce beau spectacle et devançant la chaleur du joui, ils entrèrent par la vallée d’Achor, c’est-à-dire du Tumulte, dans les domaines de Benjamin et d’Éphraïm. Ils virent à Bethel le lieu où Jacob, pauvre et nu, couché sur la terre nue, n’ayant qu’une pierre pour soutenir sa tête, avait aperçu en songe l’échelle symbolique dont Dieu tenait l’extrémité, aidant les zélés à monter, et précipitant en bas les indifférens : ce fut du moins ainsi que Jérôme expliqua le rêve du patriarche. Beth-el, « la maison de Dieu, » profanée par le culte du veau d’or sous le roi Jéroboam, et devenue, comme disaient les prophètes, Beth-aven, « la maison