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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/306

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l’averse de rayons ardens, la ligne immobile et grave des aqueducs, plus loin les montagnes dans une vapeur dorée et bleuâtre. On aperçoit dans les creux, sur les hauteurs, des troupeaux de chèvres et de bœufs aux longues cornes, des toits coniques de bergers, semblables à des huttes de sauvages, quelques pâtres, les jambes enveloppées dans une peau de bique, et çà et là, à perte de vue, un reste de villa antique, un tombeau rongé par la base, un pilier couronné de lierre, rares débris qui semblent ceux d’une cité immense, balayée tout entière par un déluge. Des paysans à l’œil animé, au teint jaune, chevauchent à travers champs pour gagner la route. Le relais est une bâtisse lézardée, roussie, lépreuse, sorte de tombeau muet où gisent dans leur manteau deux hommes minés par la fièvre.

On arrive à Lariccia par un pont superbe, dont les hautes arcades franchissent une vallée ; il a été construit par le pape. B…, qui a parcouru les états romains, dit que les ouvrages d’art n’y manquent pas, et que les grandes routes sont bien entretenues. L’architecture et les bâtisses sont un plaisir de souverain âgé ; l’amour-propre qui pousse un pape à construire une église, un palais, à inscrire son nom et les armes de sa famille sur toute réparation et tout embellissement, le porte à ces grands travaux qui font contraste avec la négligence générale. D’autres traces indiquent aussi la présence des goûts princiers et de la grande propriété aristocratique. Un duc a planté les larges allées d’ormes qui se déploient au-delà du village. Le village lui-même appartient au prince Chigi. Sa villa au bout du pont, toute noircie, a l’air d’un château fort. Au-dessous du pont, son parc couvre la vallée et remonte jusque dans la montagne. Les vieux arbres tordus, les troncs monstrueux crevassés par l’âge, les chênes-lièges dans toute la splendeur de leur jeunesse éternelle y pullulent, rafraîchis par les eaux courantes. Les têtes grises et moussues se mêlent aux têtes vertes ; les buissons se revêtent déjà d’un vert tendre, qui manque par places et semble un voile délicat accroché et retenu par les doigts épineux des branches. Toutes ces teintes, sous les alternatives du soleil et de l’ombre, se nuancent avec une variété et une harmonie charmantes. La terre du printemps s’est amollie et enfante ; on sent vaguement la fermentation de la multitude vivante qui se remue dans les profondeurs ; les jets frêles affleurent à travers les écorces ; de petites pointes vertes luisent dans l’air traversé et peuplé par les rayons agiles ; les fleurs rient déjà en couvées éclatantes, capricieusement, au bord des sources. Que les pierres et les monumens auprès des créatures naturelles sont peu de chose !

Nous dînons à Genzano, et nous sommes obligés d’aller nous-mêmes acheter de la viande ; l’aubergiste refuse de se compromettre,