Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épreuves ; — de l’autre, l’esprit d’usurpation et de conquête qui s’obstine, se défend, qui a sa politique et ses personnifications.

Dans ces dramatiques conflits, assurément la justice n’est point toujours victorieuse. Elle subit d’effroyables outrages ; elle reste plus d’une fois ensevelie dans le désastre des humiliés et des vaincus, qui retombent palpitans sous le talon du maître. Ce qui est certain, c’est que la lutte ne s’interrompt pas pour une défaite infligée par la force. Elle se déplace ou se transforme tout au plus ; elle ne semble s’assoupir un moment que pour se réveiller plus ardente et plus vive. Aujourd’hui comme hier elle s’alimente aux mêmes sources, et ce que nous avons vu de nos yeux, un peuple se levant tout entier pour sa liberté et pour sa foi, un peuple disputant son âme et sa vie à une domination meurtrière, ce spectacle s’est vu à une des heures les plus tragiques de la formation de l’Europe moderne, dans la seconde moitié du XVIe siècle. La Pologne du temps, c’est la Hollande, cette petite Hollande qui commence par conquérir sur l’océan la patrie matérielle avant de conquérir la patrie morale sur l’absolutisme étranger. A trois siècles d’intervalle et dans des conditions bien différentes, c’est la même cause qui se débat par les armes devant une Europe ennemie ou muette ; c’est le même drapeau d’indépendance nationale et de liberté religieuse ombrageant de ses plis mutilés et menant au combat tantôt des protestans, tantôt des catholiques ; ce sont les mêmes phénomènes de résistance désespérée et d’inflexible oppression. Le Mouraviev des Pays-Bas, c’est ce duc d’Albe à la figure d’airain qui se détache sur le fond sombre, héroïque et sanglant d’une guerre d’extermination, celui qui est resté le type impassible et farouche des ravageurs de peuples. Ainsi entre le présent et le passé il y a une sorte d’échange de lumière. Ce que nous voyons aide à comprendre ce que d’autres ont vu, et cette histoire d’autrefois, à son tour, est comme l’ébauche concentrée et saisissante de toutes les entreprises d’émancipation, des guerres nouvelles de nationalité ; elle en reproduit d’avance les caractères, les mobiles, les violences, les poignantes alternatives, les excès crians ; elle montre de plus que les exécuteurs ne peuvent jamais épuiser le sang des victimes, et que s’il y a pour les peuples des malheurs immérités, il y a aussi des victoires de la force qui n’ont pas de lendemain.

C’est le propre d’ailleurs de ces épisodes, où se condense à un moment donné tout ce qu’il y a de plus vivace dans l’âme humaine, qu’on ne puisse y toucher d’un cœur froid. Ces mots de liberté, de patrie, d’indépendance, qu’ils retentissent au fond du passé ou dans le présent, ont une invincible fascination, et laissent sur les événemens dont ils résument l’esprit un reflet d’idéale grandeur.