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M. Lothrop Motley est comme le couronnement de ce long travail de divulgation, le résumé vigoureux et coloré de ce grand drame qui ouvre l’ère des luttes nationales modernes, qui est pour l’Europe elle-même le sanglant prologue de tout un ordre d’événemens nouveaux, d’une véritable révolution d’équilibre public par l’affranchissement d’un peuple.


I

Le mot le plus populaire, le plus retentissant et le plus inexpliqué de notre temps est le mot de nationalité. Une nationalité vraie n’est point évidemment l’œuvre artificielle et soudaine d’une fantaisie révolutionnaire d’indépendance, ni même d’une de ces poétiques et touchantes fidélités d’une race qui s’attache avec une ardeur désespérée à ses souvenirs et à ses traditions. Elle a de bien autres racines. C’est un organisme vivant qui a sa raison d’être dans le droit, dans les faits, dans les mœurs, dans la politique, dans la religion, dans tout ce qui l’entoure. C’est de cet ensemble d’élémens que naît dans une convulsion douloureuse la nationalité hollandaise, à cette heure décisive du XVIe siècle où se produisent ces deux grands faits, la rupture de l’unité religieuse de l’Europe et la formation des monarchies absolues.

Elle se lève humble et tourmentée, s’armant de ses libertés locales, s’affirmant par la foi religieuse, puisant sa force dans une situation nouvelle dont elle est l’expression et la garantie. Si elle n’avait eu que ses chartes et ses privilèges, elle eût échoué sans doute ; elle n’eût été qu’une vaine protestation de l’esprit local. Si elle n’avait eu que son calvinisme naissant, elle n’eût fait qu’une guerre de secte. Même avec sa foi religieuse et ses libertés locales, elle eût probablement encore succombé, si elle n’eût répondu à un certain état du continent. C’est par toutes ces causes réunies que dans sa faiblesse même elle devient une puissance en face de cette puissance espagnole qui, assise au-delà des Pyrénées, ayant un pied en Italie, un pied dans les Pays-Bas, s’essaie à un absolutisme dominateur. C’est le rôle européen de la nationalité hollandaise de représenter au centre du continent un intérêt nouveau d’indépendance morale et d’équilibre politique, comme c’est le rôle européen de la nationalité polonaise d’aujourd’hui d’être à son tour au nord le soldat mutilé de là même cause en face de cet autre absolutisme qui n’a pas dit son dernier mot.

Il y a en plein XVIe siècle une scène qui semble être le prologue de ce sanglant démêlé des Pays-Bas, où la révolution hollandaise, sans être née encore, plane comme une ombre invisible, où se trou-