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voiture ; sans se ressembler, elles ont l’air de famille, comme ces filles de grande maison toutes belles et charmantes, dont le type, à quelques modifications près, se retrouve dans tel portrait d’aïeule peint au XVe siècle. Ici pourtant la mélodie affecte d’autres tours, d’autres formes ; sans tourner à l’italianisme, elle devient vocale. On sent que Meyerbeer a dû se dire que, si l’orchestre a pris de nos jours des proportions gigantesques, la voix humaine reste ce qu’elle était au temps de Mozart, et d’un autre côté cet intérêt tout spécial n’est jamais acquis aux dépens de l’idée. Pour occuper une plus grande place dans l’œuvre du maître, le beau musical n’exclut pas, tant s’en faut, le beau esthétique. L’Africaine et Nélusko sont deux figures qui déjà ont pris rang à côté des plus vivantes créations de ce Titien de la musique. Si dans le caractère de Vasco divers traits se contredisent, si la débordante imagination du musicien met en faute la logique du penseur, quelle vérité d’expression, de mouvement, d’attitude, ne se retrouve pas dans les personnages de second plan, toujours si curieusement étudiés, si nettement présentés chez Meyerbeer ! Prenez l’inquisiteur portugais et le grand-prêtre de Brahma, et voyez comme les deux têtes se profilent sur le fond du tableau, chacune marquée d’une sorte d’individualité de fanatisme. L’antithèse, à mesure qu’on avance, élargit son domaine. Deux religions, comme dans les Huguenots, ne lui suffisent plus, il lui faut deux mondes. Si quelque chose en cette œuvre de tant de vie et de force pouvait trahir la vieillesse d’un maître, ce serait l’entassement des beautés qu’on y rencontre. Les idées s’y enroulent avec une luxuriance de forêt vierge. Ne vous attendez pas au ne quid nimis d’Horace, mais bien plutôt à toute espèce de développemens, de surcroît. Ce génie, oubliant la mort, thésaurisait en se disant qu’après tout il en serait quitte à un moment donné pour jeter à la mer quelques poignées d’or.

La sève, débordant d’abondance et de force,
Sortait en gouttes d’or des fentes de l’écorce.


Sève trop puissante, trop vigoureusement productive, et dont en même temps que le chêne superbe se nourrissait le gui. L’émondeur de la dernière heure a manqué. Là est le mal. Ne l’exagérons pas.

C’est bien vite fait de se récrier. On regarde à sa montre, il est minuit, et le cinquième acte commence à peine : donc il y a des longueurs. Va pour les longueurs ; mais pour abréger comment s’y prendre ? Meyerbeer seul eût pu raccourcir, couper, parce que lui seul pouvait recoudre. L’eût-il fait, s’il eût vécu ? On en douterait presque, lorsqu’on songe aux conditions d’une œuvre si profondé-