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et une planche en forme de table encastrée dans une entaille du roc. Une vieille bible déposée dessus et une croix grossièrement charpentée, appendue au rocher, formaient tout l’ameublement de la demeure. Le maître de ce beau lieu offrit aux yeux des visiteurs un squelette basané plutôt qu’un être vivant. Ses cheveux lui couvraient le visage et une partie des épaules, et son corps velu paraissait être celui d’une bête fauve. Cet étrange personnage avait pourtant connu Rome, parlait bien le latin et aimait à s’entretenir des familles patriciennes qui l’avaient accueilli au-delà des mers. Son histoire, non moins extraordinaire que sa personne, ne tenait pas plus qu’elle à l’humanité et semblait pour ainsi dire une fable céleste. Durant sa jeunesse, et pendant qu’il habitait la ville éternelle, Sérapion s’était pris d’une grande compassion pour deux comédiens, l’un homme et l’autre femme, qui vivaient dans toute la licence de leur profession, et il se mit en tête de les ramener au bien par la vraie foi. Pour cela, il se vendit à eux comme esclave, et se plongea à leur suite dans cette vie de désordres d’où il voulait les retirer, comme on se jette à la mer pour sauver des gens qui se noient. La sainte entreprise fut couronnée de succès : grâce à ses représentations, à ses conseils, à ses prières, ses maîtres devinrent honnêtes ; ils devinrent chrétiens, reçurent le baptême et affranchirent l’esclave qui les avait convertis. Mais Sérapion n’accepta point cette faveur. Se présentant à eux quelques pièces d’argent dans la main : « Mes frères, leur dit-il, au moment de courir à d’autres aventures où Dieu m’appelle, je vous rapporte cet argent, c’est le prix dont vous m’aviez payé, il vous appartient ; moi, j’emporte le gain de vos âmes. » Après avoir longtemps songé aux autres, le saint aventurier songea à lui-même, et vint s’ensevelir dans cette affreuse solitude, ne croyant pas que tant de bonnes œuvres fussent suffisantes pour le sauver.

A propos du désintéressement de Sérapion, on leur raconta un trait de Pambon, mort trois ans auparavant, et que Mélanie avait visité. Cet homme, un des législateurs monastiques de l’Égypte, était la simplicité même : pendant les visites qu’il recevait, il tressait des cordes avec des branches de palmier, afin de ne point rester oisif. La seule aumône qu’il acceptât était celle que son travail avait produite. Mélanie, toujours fastueuse jusque dans son humilité, imagina de faire porter un jour dans la cellule de ce bon moine quantité de vases et de vaisselle d’argent enfermés dans des étuis. Elle les fit déposer à ses pieds, mais Pambon ne les regarda seulement pas : « Prenez, dit-il au disciple qui l’assistait, et envoyez cela à nos frères de Libye et des îles, qui ont plus besoin que nous. » Et comme il continuait à travailler en silence, Mélanie l’interpella par ces mots : « Savez-vous, mon père, que ces