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nature à produire. La Porte semble aujourd’hui reconnaître que son intérêt, comme son devoir, est de ménager la dignité des provinces tributaires. Elle a compris par exemple qu’elle n’avait aucun avantage à contrarier les vœux des principautés-unies du Danube dans ce qu’ils ont de légitime, et le rapprochement opéré entre le prince Couza et la Turquie est un résultat salutaire pour la paix de l’Orient. Les rapports du sultan et du vice-roi d’Égypte ne sont pas moins satisfaisans. Au mois de février 1863, Ismaïl-Pacha se rendait auprès du sultan pour en recevoir l’investiture, et, en sortant de l’audience, il était conduit à la Porte, où le firman était lu avec le cérémonial qui préside à la nomination du grand-vizir et des autres fonctionnaires ayant le rang d’altesse. Au mois d’avril de la même année, le sultan se rendait à son tour en Égypte, et se montrait plein d’égards pour le vice-roi. L’incident regrettable de Tunis s’est réglé de même à la satisfaction commune, et le gouvernement turc a fini par renouveler dans les termes les plus formels la promesse de respecter le statu quo de la régence.

La diplomatie n’a pas été sans exercer de l’influence sur l’apaisement relatif qui s’est manifesté dans ces diverses questions. Nulle part elle n’a un rôle plus important et plus difficile qu’à Constantinople, nulle part elle n’a plus d’initiative à prendre et plus de ménagemens à garder. Il faut qu’elle tienne un juste milieu entre l’optimisme et le scepticisme, entre l’impatience et le découragement. La régénération de l’Orient est la plus longue, la plus ardue, la plus complexe des entreprises, La première condition pour apporter à une telle œuvre un concours efficace, c’est de se convaincre de la grandeur et de la difficulté de la tâche. Deux politiques bien différentes se présentent en Orient au choix des cabinets de l’Europe, Une politique d’hostilité et une politique de bon vouloir. La première n’aurait d’autre résultat que de désespérer la Porte, de jeter les populations dans un sombre fanatisme, de creuser un abîme entre l’Orient et l’Occident. La seconde, celle qui tend à prévaloir, familiarise la Turquie avec cette idée, que la réforme est un bienfait et qu’une pensée de solidarité doit unir tous les peuples musulmans ou chrétiens. Elle conseille à la Porte de ne pas chercher à détruire des libertés et des prérogatives conservées par les populations à l’époque même de la conquête, de renoncer à toute arrière-pensée de lutte contre l’esprit de tolérance qui est l’un des principaux attributs de la société moderne, en un mot de donner une libre carrière aux espérances et aux aspirations raisonnables des sujets ou des vassaux de l’empire. Grâce à cette politique, qui soumet graduellement la Turquie à l’action amicale et civilisatrice des puissances, Constantinople, au lieu d’être un champ de bataille diplomatique, tend à devenir un terrain de conciliation, et les réunions des représentons des différentes cours ressemblent à des congrès périodiques dont les travaux rappellent quelquefois les délibérations parlementaires les plus intéressantes. Du moment que la diplomatie renonce aux rivalités d’influence exclusive, elle rend à la paix de l’Orient des services véritables. Cette politique est à la fois une protection et une garantie, et, en permettant au gouvernement turc de se consacrer sans inquiétude au développement des ressources intérieures de l’empire, elle raffermit les bases de l’équilibre européen.


L. DE SAINT-AMAND.