Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/586

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près de la ville. Là se rendaient de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique les milices et les troupes auxiliaires des grands tributaires de l’empire. Quand cette première organisation parut suffisante, Achmet reçut des mains du sultan le sabre garni de pierreries et l’étendard sacré qui appelaient tous les croyans à la guerre contre les infidèles. L’armée se mit en marche pour se concentrer à Belgrade. À ce moment encore, on ne désespérait pas à Vienne de détourner la tempête. On autorisa le baron de Goës et le nouveau ministre Reininger, qu’on avait envoyé au-devant du grand-vizir, à souscrire aux conditions qu’exigeait la Porte. L’empereur consentait à démolir le fort de Zriniwar, que les comtes de Zriny, vassaux de l’empereur et bans de Croatie, avaient fait élever sur leurs domaines, en face de la place turque de Canisza, pour se défendre contre les invasions des Turcs. Il abandonnait les forteresses de la Transylvanie et renonçait au droit d’y tenir garnison. Enfin l’élection du nouveau prince transylvain Apáfy, la créature des Turcs, était reconnue par l’empereur Léopold. Vains sacrifices, inutiles humiliations, éternelle histoire de la faiblesse, qui de concessions en concessions arrive à ce qui au début l’eût sauvée, et de la force triomphante, qui veut aller jusqu’au bout de son succès ! Achmet traita avec mépris les soumissions des envoyés impériaux. — Croyez-vous donc, leur dit-il, que j’aie réuni deux cent mille combattans pour m’arrêter et les renvoyer à leurs harems ? — Il proposa alors de rétablir le tribut annuel de trente mille ducats que le grand Soliman avait autrefois imposé à la Hongrie. En d’autres termes, l’empereur serait devenu un des tributaires de la Porte, et comme les négociateurs autrichiens demandaient un délai pour recevoir les ordres de leur cour : — Il n’est plus temps pour les paroles, dit-il, venez, — et il les conduisit au sommet du mont sur lequel s’élève la forteresse de Belgrade. De là il leur montra son armée, qui depuis le matin s’était mise en mouvement et faisait, à la vue de son chef, retentir les airs de ses acclamations sauvages. C’était une guerre d’invasion, et Vienne était le but hautement marqué à ce fanatisme orgueilleux qui depuis le premier Kiuperli animait les musulmans. Le ministre impérial Reininger a donné lui-même une relation de ce grand et terrible spectacle ; il vit défiler les bataillons de cette multitude de combattans qui se croyait appelée à la conquête de l’Europe. Le dénombrement qu’il en fait inquiète et étonne l’imagination. On se croit transporté aux temps où les ancêtres des Hongrois étaient envahis aussi par les hordes innombrables des Huns. La diversité des nations et des costumes ajoutait au sentiment de terreur qu’inspirait ce peuple de combattans. « Il fallut sept jours entiers pour qu’il défilât hors des portes de la ville dans tout l’appareil d’une magnifi-