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jalousie et de méfiance qui prévalaient à la diète contre l’empereur que ces résolutions généreuses ne fussent pas entravées dans l’exécution par mille fâcheuses chicanes. Léopold demandait que les contingens de l’empire fussent portés au grand complet ; on ne lui accorda que trente mille hommes, et sous la condition expresse qu’il fournirait lui-même un corps d’armée plus nombreux. Il voulait que les troupes de l’empire fussent placées sous les ordres de Montecuculli ; on exigea un commandement séparé. Il est vrai que ce commandement fut remis au margrave de Bade, qui était lui-même au service de l’empereur ; mais les princes de la ligue du Rhin formèrent une division séparée sous les ordres du comte de Hollach. Enfin on fit prendre à l’empereur l’engagement formel que les troupes des cercles ne seraient employées que contre les infidèles ; c’était une politesse faite aux mécontens de Hongrie, dont la soumission, toujours douteuse, répondait assez bien aux sentimens qui animaient la diète : on voulait empêcher les Turcs d’anéantir l’empereur, on ne voulait nullement changer les conditions précaires et pénibles de son existence. A la tête de cette opposition, qui marchandait si durement les secours auxquels elle reconnaissait que la diète était engagée, se trouvait le comte de Gravel, ministre du roi de France ; ce vieux diplomate vivait toujours sur les instructions qu’il avait reçues, du cardinal Mazarin. Par conscience autant que par tradition, il élevait sans cesse de nouvelles difficultés et formait des ligues contre les desseins de l’empereur. Il n’était que trop facile, dit un contemporain, d’enrayer le mouvement de ce « grand corps de l’empire qui se remuait si lentement. » De nos jours on se plaint encore de cette lenteur, et cependant l’Allemagne moderne, avec ses trente-sept princes souverains et les dix-sept voix qui les représentent à la diète, en regard du spectacle confus que le saint-empire offrait il y a moins de deux siècles, doit nous paraître un modèle d’ordre et de concentration de pouvoirs. L’empire comprenait plus de 350 souverainetés ; il y avait 150 états séculiers possédés par des électeurs, des ducs, des landgraves, des comtes et des burgraves, et 123 états ecclésiastiques gouvernés par des électeurs archevêques, évêques, abbés, chefs d’ordres militaires, prieurs et abbesses ; on comptait enfin 62 villes impériales qui formaient de vraies républiques.

L’empereur, plus affligé que surpris de retrouver toujours l’influence hostile de la France dans les menées de ses ennemis, cherchait de son côté à rompre les manœuvres de Gravel ; il représentait avec raison, et quelquefois avec succès, que la France était plus puissante en Allemagne que l’empereur, et que le maître à redouter était sur l’autre rive du Rhin. Au milieu de ces intrigues contraires,