Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en chef ; tous les éloges cependant furent pour La Feuillade. On peut dire que par cette partialité Louis XIV fut le premier qui répandit l’erreur injuste où sont tombés plusieurs historiens, faisant de La Feuillade le héros de la campagne que nous racontons et laissant dans l’ombre celui qui, ayant eu la conduite et la responsabilité de l’expédition, devait en recueillir la gloire.

La nomination des généraux et le choix des officiers occupèrent fort la cour. Les gentilshommes restés auprès du roi après le départ des troupes l’entendirent plusieurs fois répéter qu’il voudrait pour beaucoup qu’elles trouvassent dans cette guerre une occasion d’ajouter encore à la gloire de ses armes. « Comme le roi est heureux en tout, les choses tournèrent en Hongrie ainsi qu’il l’avait souhaité pour elles et pour lui. »

Coligny arriva à Metz à la fin d’avril. Il acheva d’organiser sa petite armée, et le 17 mai il se mit en marche. « Je suis persuadé, écrivait-il, que le roi aurait eu deux bonnes heures, s’il avait été caché en quelque coin, et qu’il eût vu le bon état, le bon visage et la gaîté de ses troupes après avoir passé le Rhin. » On s’arrêta le 30 juin près de Spire, où le prince-évêque régala la petite armée. Le 4 juillet, à Heilbronn, le prince de Wurtemberg voulut voir défiler les troupes et traiter les officiers. Arrivé sur les bords du Danube, on trouva soixante bateaux que le duc de Bavière avait fait préparer, et Coligny, prenant avec lui Podwitz et La Feuillade, s’embarqua avec l’infanterie pour descendre le fleuve, tandis que Gassion conduisait la cavalerie par le chemin de terre à travers l’évêché de Salzbourg. Bien que les chaleurs fussent extrêmes, la navigation fatigante et parfois périlleuse, Coligny, pressé et alarmé par les rumeurs qu’il recueillait sur son passage, craignant d’arriver trop tard au secours de l’empereur, laissait à peine aux troupes quelques heures de repos. Le 20 juin au soir, les Français étaient à Ratisbonne. Ils entrèrent dans la ville en bon ordre, reçus par la bourgeoisie en armes qui faisait la haie d’une porte à l’autre de la ville, et criait : Vive le roi de France ! Le lendemain, on passait à Lintz, où la cour s’était réfugiée en apprenant la perte de Neuhausel. Pour faire honneur à l’empereur, les soldats prirent les armes, mais sans descendre des bateaux, afin « de ne pas rompre la journée. » Enfin le 25 on débarquait un peu au-dessus de Vienne. Les troupes eurent un jour pour se reposer et se mettre en bel ordre ; le lendemain, on traversa la ville et l’on alla camper à quelques lieues plus bas, sur la rive droite du Danube, après quarante jours de voyage. La présence seule des Français était une véritable délivrance pour ce pays, que la terreur écrasait depuis plusieurs mois. On les accueillit comme des sauveurs.