Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’empereur Léopold, qui les avait suivis de près sous le prétexte d’une partie de chasse, voulut aller le soir même de leur arrivée aux environs du camp pour voir les régimens rangés en bataille. Le lendemain, il y revint en pompe avec sa garde-noble, composée des principaux seigneurs de l’archiduché, et les compagnies à pied de la milice. Coligny alla au-devant de lui avec les officiers et les volontaires, et lui adressa un compliment en allemand ; puis Léopold passa la revue des régimens, se découvrant devant chaque drapeau. Les troupes étaient admirables à voir, disent les relations du temps[1], les hommes lestes et bien équipés ; les volontaires surtout excitaient l’admiration générale : rien n’égalait la beauté de leurs chevaux et l’éclat de leurs uniformes. Rassuré par le voisinage du camp français, l’empereur ne retourna pas à Lintz. Il s’établit avec la cour au château de Laxembourg, près de Vienne, pour y recevoir les Français. Les deux maréchaux de camp et les officiers invités furent reçus par les grands-maîtres de l’empereur. Le comte de Coligny, retenu par une attaque de goutte, n’avait pu se rendre à Laxembourg. L’empereur, qui avait dîné seul, suivant l’étiquette orgueilleuse de la cour impériale, lui envoya deux magnifiques chevaux. Il y eut aussi une grande chasse où l’on tua trente cerfs, que l’empereur fit porter au camp français avec des provisions de toute sorte. Enfin il offrit aux officiers des sabres, des armes de prix, et ceux-ci les reçurent en lui promettant d’en faire bon usage contre l’ennemi commun. Le peuple était en fête aussi bien que la cour ; les tambours français résonnaient tout le jour sur la place de la Burg, et l’argent que les officiers répandaient avec profusion ramenait un peu de mouvement dans le commerce de la ville. Bourgeois, moines, grands seigneurs venaient visiter le camp, et se retiraient émerveillés de la magnificence et du bon air des troupes françaises. — On n’insiste sur ces détails que parce qu’ils peignent les sentimens et les impressions qui prévalaient alors à Vienne. La vivacité des démonstrations se proportionnait à l’importance du service. On sentait que cette petite troupe, vive, pleine d’entrain, étrangère aux tristes discordes qui divisaient les impériaux et les Hongrois, allait raviver l’esprit de l’armée, donner une autre direction aux passions et aux rivalités, et décider du sort de la campagne.


V

Ce repos et ces fêtes ne pouvaient se prolonger sans péril. Coligny avait espéré recevoir à Vienne des nouvelles de la brigade de

  1. Theatrum Europœum, t. IX, p. 1122.