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de la cavalerie en leur commandant de faire un feu continuel ; enfin on ordonna aux troupes de pousser des cris pour répondre aux clameurs des barbares et rassurer le courage ébranlé des nouvelles recrues. La bataille était restée comme suspendue pendant les délibérations et les changement de position : l’ordre d’attaquer fut enfin donné ; la gauche et la droite, les Français et les impériaux, s’élancèrent avec une ardeur admirable. Le centre flottait encore, et il y eut un moment plein de doute et d’angoisse, quand il fallut faire passer les bataillons allemands par-dessus les corps de leurs camarades qui formaient comme un rempart entre l’ennemi et eux, rempart hideux de corps sanglans auxquels les Turcs avaient déjà coupé la tête. La Feuillade, suivi de l’infanterie française et de quatre escadrons de cavalerie, entra le premier dans le cercle fatal occupé par les janissaires. Quand Kiuperli, qui se tenait sur l’autre rive, les vit déborder par-delà les maisons incendiées du village : « Qu’est-ce que ces belles filles ? » s’écria-t-il, voulant se moquer des perruques poudrées que les Français portaient alors ; mais ces prétendues filles, sans se laisser effrayer par les hurlemens des Turcs, se mirent au pas de course, criant : En avant, en avant ! tue ! tue ! Et les janissaires qui échappèrent à cette furieuse charge n’avaient pas encore oublié, bien des années après, ces terribles cris des Français, ni le nom de Fuladi (homme de fer)[1] qu’ils donnaient au duc de La Feuillade.

A l’autre aile, un de ces hommes simples et héroïques, comme de longues guerres en font souvent sortir des masses populaires, un ancien valet de tambour, Spork, qui n’avait jamais su ni lire ni écrire, et que sa bravoure sans pareille avait élevé aux plus hautes dignités militaires, menait au combat la grosse cavalerie impériale. La tête découverte, il prononça à haute voix cette courte prière : « Généralissime tout-puissant de là-haut, si tu ne veux pas nous prêter secours à cause de nos péchés, au moins ne secours pas ces chiens de Turcs ; laisse-nous faire, et tu auras aujourd’hui sujet de rire. » Il tua cinq janissaires de sa main dans la charge.

Ce mouvement avait changé la face des choses. Grâce à la nouvelle combinaison, l’armée chrétienne, malgré son infériorité, avait sur le terrain où l’on combattait l’avantage du nombre. Cependant les Turcs, encore pleins d’ardeur, furieux de se voir arracher une victoire qu’ils avaient crue certaine, disputaient le terrain avec un acharnement sans exemple. Alors la cavalerie, composée des volontaires français, qui avaient peu à peu pris la tête de la colonne, les chargea si vigoureusement qu’ils commencèrent à tourner vers

  1. Maikath, p. 283. — Hammer.