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Dans un monde voisin, mais bien différent de celui-là, s’est établie et se maintient presque seule la race anglo-saxonne. La dernière révolte de l’Inde, qui a été plus étendue et plus sanglante que toutes les autres, a profondément modifié les vues des Anglais et opéré dans leurs relations avec ce vaste pays une transformation considérable. Résultat de causes qui agissaient depuis longtemps, cette lutte les a manifestées ; elle a trouvé une partie du public européen en état de les comprendre et le gouvernement anglais en état d’en conjurer pour l’avenir les effets ou le retour. Les études orientales ont permis aux Européens de pénétrer dans le fond même de la civilisation indienne, de saisir la suite de son histoire, de distinguer ce qu’il peut y avoir en elle de caduc et ce qu’il y a aussi de permanent, par conséquent de respectable pour les conquérans. La plupart des révoltes de l’Inde ont eu pour cause moins les exactions et les violences que l’ignorance de ses maîtres étrangers se heurtant maladroitement contre des usages dont ils ne tenaient aucun compte ; les travaux des savans européens ont montré comment ces usages, traités d’abord de superstitions et tournés en ridicule, se rattachent le plus souvent à des doctrines très sérieuses et à une constitution sociale parfaitement fondée en raison. Les négocians et les employés de l’administration anglaise n’ont vu longtemps que le dehors de cette civilisation ; mais un préfet chinois qui viendrait en Italie, en Espagne ou même en Angleterre pourrait juger de même ces pays, s’il n’en connaissait ni les doctrines religieuses ni les constitutions fondamentales. Les travaux des savans ont plus fait pour assurer la domination britannique dans l’Inde que les efforts successifs des armées et des administrations, car celles-ci ne font que s’imposer à des populations qui les détestent, tandis que l’étude des doctrines prépare un rapprochement entre les vainqueurs et les vaincus ; elle amène les générations nouvelles, oubliant les haines des pères, à ne voir dans les étrangers que des frères revenus de loin et des civilisateurs.

L’Occident porte dans les pays orientaux les élémens essentiels de sa propre civilisation, sa religion, sa science, les applications de l’une et de l’autre à la vie morale et à celle du corps. Le commerce est ordinairement le mobile qui conduit les hommes vers les pays éloignés ; ils en rapportent les objets qui manquent à leurs besoins ou à leurs plaisirs, et ils y portent leurs produits et leur superflu : s’enrichir est le but naturel et légitime de ces premiers explorateurs. La religion les suit, quand elle est, comme le furent celles du Bouddha et du Christ, animée de l’esprit de prosélytisme : conquérir à la vérité sainte les âmes des peuples qui l’ignorent, voilà ce que se proposent les missionnaires de toutes les religions ; mais