Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/642

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plusieurs civilisations qui ont jeté dans le monde un éclat singulier ; elle s’est conservée intacte non-seulement dans les anciens livres de l’Inde (smriti), mais dans l’enseignement de nos jours, où elle est en pleine vigueur (çruti). Les négocians et les voyageurs qui voient les côtes de l’Indoustan ou qui ne remontent pas plus haut que la ville moderne de Calcutta se figurent que les cérémonies bizarres de Jagannâtha constituent tout le brahmanisme. Ils font à peu près la même erreur qu’un étranger parcourant pour ses affaires la Méditerranée et qui, voyant le miracle de saint Janvier ou les processions de pénitens blancs, gris ou noirs de Marseille, croirait que c’est là tout le christianisme. Si cet étranger, brahmane, guèbre ou Siamois, s’avisait là-dessus de vouloir catéchiser nos théologiens de la Sorbonne ou des Carmes ou seulement nos curés, il n’aurait aucun succès ; nos prêtres ne le comprendraient guère, et lui-même se heurterait à une théologie dont la force de résistance lui serait inconnue.

La première condition pour que le christianisme fasse dans l’Inde quelque progrès, c’est que les chrétiens s’initient aux religions de l’Inde, et surtout au brahmanisme, qui compte parmi ses fidèles la majorité des habitans. Or tous les dogmes essentiels du christianisme, la religion brahmanique les possède, excepté un seul, qui est sémitique et sur lequel règne toujours de l’obscurité dans les esprits, — le dogme de la création. Je ne veux pas sur ce point entraîner le lecteur dans trop de détails ; cependant on ne peut s’expliquer le manque absolu d’action de l’enseignement chrétien sur les brahmanes sans voir aux prises les deux croyances. Or ce que les hautes classes indiennes opposent à la foi des chrétiens, ce n’est pas l’hostilité, c’est l’indifférence. C’est même quelque chose de plus surprenant encore : un brahmane accepte tout ce qu’un théologien chrétien lui propose comme objet de croyance, il donne à tous les points de doctrine et de morale son assentiment ; après de longs entretiens qui ont à peine eu le caractère d’une discussion, le gourou semble converti. Point du tout ; il reste brahmane. Les bibles que l’on distribue dans l’Inde sont parfaitement reçues ; quelques pândits les lisent et en avouent l’intérêt et la beauté ; mais le Vêda reste leur sainte écriture. Vous leur parlez de Jésus, de sa vie, de sa condamnation, de sa mort ; ce récit les fait frémir et les édifie. Vous leur dîtes : « Jésus était Dieu lui-même incarné ; » ne croyez pas qu’ils vont vous contredire : la doctrine des incarnations est un des dogmes fondamentaux de leur religion ; ils comprennent fort bien que le principe éternel ait animé un corps de chair en Occident comme il en a animé plusieurs autres en Orient. Voici la formule par laquelle ils expriment cette pensée :