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d’art et d’artistes, ce que notre époque a produit. Si à cela on ajoute une certaine propension malsaine à choisir de préférence des sujets égrillards, on aura un bilan qui peut, avec certitude, faire prédire la prochaine banqueroute de l’école française. De Rome même, de la villa Médicis, on envoie des jeunes Filles endormies qui pourraient servir d’enseigne à la boutique de M. Purgon. C’est vers l’Allemagne et vers la Belgique qu’il faudra nous tourner pour trouver des maîtres, et une de nos gloires pacifiques est sur le point de disparaître. A quoi donc attribuer un si douloureux état de choses ? Est-ce qu’on ne protège pas assez les artistes ? Mais jamais, à aucune époque, les prix dont on paie leurs œuvres, — les ventes en font foi, — ne sont arrivés à un chiffre aussi considérable. Entre tous, les artistes sont privilégiés, car nulle liberté ne leur fait défaut. La sculpture et la peinture n’inspirent aucune défiance, elles ne sont point subversives, elles n’excitent point à la haine des citoyens entre eux, elles n’attaquent point la constitution. L’administration leur est favorable, le budget leur fait une part importante. On achète et on récompense. Le peintre et le sculpteur sont médaillés et décorés comme de vieux soldats. C’est au mieux, et j’approuve des deux mains. Et cependant le mal fait des progrès que rien n’arrête ; les plus indifférens s’inquiètent et se disent : L’art français va-t-il donc disparaître ? Quel souffle malsain de langueur et de faiblesse a donc passé sur les artistes ? D’où vient l’atonie qui les endort, l’énervement qui les étreint ? A qui la faute ? à qui remonte la responsabilité ? La cause n’est point particulière, elle est générale. Il y a cinquante et un ans déjà qu’un homme d’un grand talent a répondu à toutes ces questions et que Benjamin Constant a écrit la phrase suivante qu’il n’hésiterait pas à signer encore aujourd’hui : « L’indépendance de la pensée est aussi nécessaire, même à la littérature légère, aux sciences et aux arts, que l’air à la vie physique. L’on pourrait aussi bien faire travailler des hommes sous une pompe pneumatique, en disant qu’on n’exige pas d’eux qu’ils respirent, mais qu’ils remuent les bras et les jambes, que maintenir l’activité de l’esprit sur un sujet donné en l’empêchant de s’exercer sur les objets importans qui lui rendent son énergie parce qu’ils lui rappellent sa dignité. »


MAXIME DU CAMP.