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nature, il ne les crée ni me les invente, il les subit. Ce qui ne veut pas dire que pour l’espèce humaine en général, pour cette foule qui vit au jour le jour, qui va, qui vient et qui s’agite, vaquant à ses affaires, courant à ses plaisirs, ces problèmes ne soient le plus souvent obscurs, confus, sans forme ni contours, enveloppés d’une sorte de brume, pressentis plutôt qu’aperçus ; mais il n’est pas un homme dans cette foule même, pas un, sachons-le bien, si peu éclairé ou si distrait qu’on le suppose, qui, un jour au moins dans sa vie, pour peu qu’il ait vécu, pour peu qu’il ait souffert, n’ait entrevu ces questions redoutables et ressenti l’ardent besoin de les voir résolues. Distinguez, tant qu’il vous plaira, entre les races, entre les sexes, entre les âges, entre les degrés de civilisation ; coupez, divisez par zones, par climats, ce globe et ses habitans : vous noterez sans doute plus d’une différence dans la manière dont ces problèmes s’imposent à l’âme humaine, vous les verrez plus ou moins menaçans, plus ou moins écoutés, mais partout et chez tous vous en trouverez trace. C’est une loi d’instinct, une loi générale, de tous les temps, de tous les lieux.

Si tel est notre lot, si des questions sont là qui pèsent sur nos têtes, ces questions, le grand fardeau des âmes, comme dit M. Guizot, ne faut-il pas forcément que nous tentions de les résoudre. Ce n’est de notre part ni vaine curiosité, ni capricieux penchant, ni frivole habitude : c’est un besoin tout aussi sérieux, tout aussi naturel que ces problèmes le sont eux-mêmes, besoin de respirer en quelque sorte, de soulever un poids qui nous oppresse ; il nous faut à tout prix des réponses, il nous en faut : qui nous les donnera ?

La foi ou la raison ? les religions ou la philosophie ? Tout à l’heure on verra dans quelle mesure et jusqu’à quelle limite la raison, la science, les sources purement humaines suffisent à nous abreuver ; dès à présent, vous pouvez dire que depuis les premiers temps des sociétés humaines, c’est aux religions, aux sources réputées divines et acceptées comme telles par la foi, que l’humanité demande ces indispensables réponses.

On voit dès lors quel intérêt s’attache à cette question des problèmes naturels. Qui osera nous dire que les religions procèdent d’un besoin factice et temporaire dont peu à peu les hommes s’affranchiront, si les problèmes auxquels elles correspondent sont inhérens au genre humain et ne peuvent périr qu’avec lui ? Aussi le travail constant, le mot d’ordre de tout système, matérialiste ou panthéiste, est-il de dénaturer les caractères de ces problèmes, d’en faire de simples accident, purement individuels, des effets de tempérament, des résultats de circonstance. Jusqu’à ces derniers temps, on n’allait pas plus loin. On n’osait pas nier, contre des té-