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ciale d’Abyssinie (celle de Tellez) sous le nom de Roma ; la seconde, que les Grecs du bas-empire se sont toujours nommés eux-mêmes Romains (Ρωμαϊοι). La conséquence, ce me semble, est fort naturelle. On sait à quel degré de richesse et d’importance était arrivée, sous les Ptolémées, la colonie grecque d’Adulis. Du temps des Romains et au commencement du bas-empire, elle n’était pas encore déchue, et on ignore les événemens qui lui enlevèrent sa suprématie dans ces parages. Quand on compare les traditions relatives aux Rôm à celles qui ont cours sur Adulis parmi les nomades, on se demande si les Adulitains, isolés de l’Europe par la conquête musulmane, chassés peut-être d’Adulis par les Arabes, ne se seraient pas repliés sur l’intérieur, où, mêlés aux indigènes, ils se seraient peu à peu éthiopisés, tout en conservant une existence politique distincte jusqu’à un temps assez rapproché de nous. C’est une hypothèse que l’on peut soumettre en toute discrétion aux érudits.

Après une journée de marche, on arrive de l’oasis de Desset à l’aiguade d’Amba, mare sombre et profonde abritée par une de ces montagnes coniques qui ressemblent à ce que les Abyssins nomment des ambas ou citadelles. D’une station voisine, Mai-Aualid (Eau des Vierges), on découvre les pics sourcilleux qui abritent une des populations les plus importantes du Sennaheit, je veux parler des Menza.

Les Menza se disent venus des bords de la mer et descendans des Européens. Leur type, classique et correct, ne dément pas trop l’origine qu’ils s’attribuent. Disséminés sur un territoire aussi vaste qu’un de nos départemens, ils ne dépassent pas le chiffre de quinze mille âmes, réparties en deux groupes, les Beit-Ibrahé et les Beit-Echakan. Ils acceptent la suzeraineté de l’Abyssinie en ce sens que leurs kantibas (chefs) reçoivent l’investiture du négus et lui paient un léger tribut. Ils se disent chrétiens par tradition, mais n’en savent pas plus sur le christianisme que les autres populations du Sennaheit. Un missionnaire qui les visita il y a quelques années leur demanda quelle était leur religion : ils répondirent qu’ils étaient chrétiens. À ce mot, il leur montra un crucifix ; ils ne savaient ce que c’était ; le voyageur dut leur expliquer qu’ignorant le mystère de la croix, ils ne pouvaient être chrétiens. « Nous sommes chrétiens, répliquèrent-ils, et si vous pouviez ranimer les ils de nos pères pour les interroger, ils vous feraient la même réponse. » Les Menza furent attaqués en 1850 par Hassan, un prince musulman fanatique que le gouvernement turc avait réduit quatre ans auparavant à un rôle fort subalterne, et qui voulait retrouver dans les montagnes d’Abyssinie la principauté presque absolue que la Porte lui avait enlevée sur la Mer-Rouge. Suivi de tous les vagabonds du désert, il se jeta