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ici ni d’une vaste peinture monumentale, ni même d’un tableau, bien que les moyens d’exécution choisis par M. Ingres se réduisent à l’emploi du crayon et de l’encre de chine, l’invention grandiose et les détails ingénieux de la scène où il nous montre Homère déifié, l’alliance dans les formes d’une énergie et d’une finesse dont il semble que le génie grec ait seul possédé le secret, tout concourt à relever l’importance de ce simple dessin, qui ne mesure peut-être pas plus d’un mètre dans un sens et de quatre-vingts centimètres dans l’autre ; tout lui donne, au milieu de nos déclamations ou de nos bavardages pittoresques, une éloquence d’autant plus sûre qu’elle est plus sobre dans les termes, plus indépendante des procédés ordinaires de la rhétorique.

On sait de reste ce que vaut, au double point de vue de l’invention et du style, le tableau représentant l’Apothéose d’Homère que M. Ingres peignait en 1827 pour la décoration d’une des salles du musée Charles X. Même après l’École d’Athènes et le Parnasse de Raphaël ; cette assemblée des héros de l’intelligence humaine était retracée par le pinceau avec une dignité à la hauteur d’un pareil thème ; même après les chefs-d’œuvre de l’antiquité et de la renaissance, l’œuvre moderne réussissait à mettre en lumière quelques côtés encore inaperçus du beau et du vrai. En entreprenant de réviser, à près de quarante ans d’intervalle, cette composition célèbre, en désavouant pour ainsi dire la gloire d’un ouvrage consacré par le temps et par l’admiration de tous, M. Ingres ne semblait-il pas entrer bien imprudemment en lutte avec lui-même et courir le risque d’affaiblir par des redites ou par des développemens inutiles ce qu’il avait une fois si nettement défini ? Le plus rapide coup d’œil sur cette seconde édition de la pensée du maître suffit néanmoins pour en faire comprendre l’opportunité et pour nous révéler non-seulement d’insignes améliorations dans le texte, mais dans le fond même des inspirations un surcroît d’abondance et de certitude.

Et d’abord l’ordonnance des figures groupées autour d’Homère, ce qu’on pourrait appeler l’aspect architectonique de ces groupes, a pris dans le dessin une aisance et un caractère de vraisemblance qui, sans compromettre la majesté nécessaire du sujet, achèvent d’en vivifier et d’en assouplir les dehors. Quoique le nombre des personnages représentés primitivement ait été ici presque doublé, les quatre-vingts figures environ dont se compose la nouvelle scène forment dans l’ensemble des lignes moins compactes, moins étroitement enchevêtrées que les lignes qui réunissent les unes aux autres les figures tracées autrefois sur la toile. Tout en exprimant la foule, elles gardent chacune un rôle et une importance propres, parce que l’espace où elles se meuvent, plutôt occupé que rempli, permet aux attitudes de s’affirmer davantage, aux gestes de se développer, aux contours de se continuer sans excès d’envahissement sur les objets voisins ou de se rapprocher de ceux-ci sans qu’il en résulte ni choc vio-