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montagnes des Alpes sont le Schreckhorn, le Grimsel, le Saint-Bernard et le Saint-Gothard, et il ajoute que jamais on ne parviendra ni à les gravir ni à les mesurer. Dès cette époque pourtant, Jean Scheuchzer[1], professeur à Zurich, avait parcouru les Alpes dans un intérêt scientifique de 1702 à 1711. Le premier il était parvenu à déterminer quelques hauteurs au moyen du baromètre, mais il ne s’était point écarté des grandes voies de communication, et il n’avait point songé un instant à s’élever sur les sommités culminantes, qu’il considérait comme inaccessibles.

Pour comprendre à quel point l’on ignorait la structure véritable des massifs et des rides de soulèvement qui constituent le relief de la croûte terrestre, il suffit de jeter un coup d’œil sur une carte qui date du siècle dernier. Les chaînes de montagnes sont représentées par une série de petits monticules isolés, vus de profil, ayant chacun son ombre portée, sans lien qui les rattache les uns aux autres et présentant une série de dépressions qui forment autant de cols qu’il y a d’intervalles entre deux sommets dessinés au hasard. Le cours des rivières et la direction des vallées sont assez fidèlement représentés, parce qu’on a pu en suivre les détours, tandis que les hauteurs sont tracées suivant la fantaisie du graveur, parce que le géographe n’en connaît pas mieux que lui la structure et les ramifications.

Cette ignorance à peu près complète de la forme extérieure des régions montagneuses ne doit pas nous surprendre. Rien de plus difficile que d’apprécier la masse des grandes chaînes, la hauteur des cimes, la ligne des faîtes. L’habitant des plaines ou des collines, habitué à embrasser d’un regard de vastes étendues de pays, ne peut s’imaginer les obstacles que présentent à l’observateur ces prodigieuses inégalités, ces murs à pic, ces croupes puissantes qui bordent les routes suivies par le voyageur. Engagé dans les ravins étroits où serpentent presque toujours les chemins praticables, on peut marcher des journées entières sans soupçonner la configuration réelle du canton qu’on traverse. Un rocher vertical de quelques centaines de pieds vous empêche d’apercevoir une crête très rapprochée qui en mesure des milliers. On contemple

  1. Quand on pense à l’époque où parut l’ouvrage de Scheuchzer (1723), on est frappé de la grande quantité de données exactes et d’observations bien faites qu’il renferme sur l’économie rurale, la botanique, la physique et la topographie. Il est écrit en latin et intitulé Ούρεσιφοίτης ; helveticus sive itinera per Helvetiœ alpinas regiones facta annis 1702, 1703, 1704, 1705, 1706, 1707, 1709, 1710, 1714. Il est orné de gravures sur acier exécutées à Leyde, où le livre fut imprimé aux frais des membres de la Société royale de Londres. Quelques-uns de ces dessins sont extrêmement naïfs, d’autres sont très exacts, celui par exemple qui représente le pont du Diable et qui est gravé, comme dit le texte, sumptibus D. Isaaci Newton, equitis aurati, societatis regalis prœsidis, etc.