avec stupeur au-dessus de sa tête, perdus dans les nues, des habitations, un clocher ; on ne s’explique pas que l’homme puisse résider à ces hauteurs vertigineuses ; on gravit jusque-là, et l’on voit alors que ces villages sont assis sur des plateaux couverts d’épais herbages et même de moissons jaunissantes, et que bien au-dessus se dressent d’effroyables escarpemens, dominés à leur tour par des pics beaucoup plus élevés encore. Tout pour la vue est incertitude et déception. Ces sommets neigeux qui se détachent là-bas sur le bleu profond du ciel, à quelle distance se trouvent-ils ? à quelle hauteur atteignent-ils ? se relient-ils à ces cimes en apparence si voisines, ou en sont-ils séparés par quelque profonde vallée ? Comment le déterminer, et d’ailleurs qui autrefois aurait cherché à le faire ?
Avant ce siècle-ci, les gens à l’esprit cultivé n’aimaient pas les montagnes. Ils les trouvaient formidables, horribles ; elles leur inspiraient une invincible terreur ; on les croyait habitées par des monstres en rapport avec le sauvage chaos de ces lieux désolés. Le docte Scheuchzer lui-même insère au commencement de son ouvrage l’image authentique des dragons qui hantaient le Mont-Pilate près de Lucerne, les environs de Grindelwald et les forêts solitaires de Glaris. Fallait-il franchir les Alpes pour passer en Italie, on se hâtait de traverser les cols qui y mènent, et l’on remerciait Dieu d’avoir échappé aux mille dangers auxquels on croyait avoir été exposé. Le sentiment esthétique ne se plaisait alors qu’aux aspects de la nature asservie, embellie par la main de l’homme. C’est un savant, de Saussure, qui le premier a su rendre ou du moins fait sentir la beauté des Alpes. Lisez les autres écrivains du XVIIIe siècle, Rousseau lui-même, qui décrit avec tant de vérité et de poésie les paysages de la région inférieure, et vous n’y trouverez que des phrases banales et des épithètes vagues. Pour arriver au mot juste, au l’on vrai, il leur manquait ce que rien ne remplace, la connaissance des choses. C’est au moyen de données exactes, de nombres et de mesures, que la science communique à l’esprit le pouvoir de comprendre et par conséquent de décrire les formes de la matière où semble apparaître l’infini dans l’espace et dans le temps.
Aussi est-ce la géologie surtout qui nous a fait connaître, qui nous a fait aimer les montagnes. Depuis qu’on entrevoit leur origine, leur mode de formation, on saisit la raison d’être de leur structure, de leur direction, de leur enchevêtrement. Ce ne sont plus à nos yeux des masses informes, des amas gigantesques de rochers muets, ce sont des témoins éloquens qui nous parlent des époques où l’espèce humaine n’était pas encore, et qui nous racontent l’histoire de la planète que nous habitons. Un autre ordre de faits a con-