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peu la masse énorme de matériaux par lesquels le Cervin se reliait d’abord aux montagnes voisines ? Cette double action expliquerait-elle l’isolement de l’énorme pyramide ? Pour effriter la roche cristalline, pour la désagréger lentement et pour emporter tous les débris de ce lent travail de décomposition, dont il n’y a plus trace aujourd’hui, il faudrait des millions d’années sans doute ; mais quand il s’agit de phénomènes des époques géologiques, le temps ne manque point, et pour la commodité des hypothèses on peut prendre sans invraisemblance des myriades de siècles dans les abîmes sans limites du passé. Aussi n’est-ce point là réellement la difficulté qui empêche d’appliquer au Cervin la théorie de l’érosion. Ce qui s’y oppose, semble-t-il, c’est la forme même de ce cône sans pareil. Pour se rendre compte du relief que les eaux peuvent donner au sol, il suffit d’examiner l’effet qu’elles produisent sur les terrassemens nouveaux. L’eau, en s’écoulant, creuse un petit vallon central ; à droite et à gauche, elle ouvre des rainures latérales, lesquelles à leur tour reçoivent des deux côtés de petits creux, et toutes ces ramifications ressemblent un peu aux divisions multiples de certaines feuilles de fougère. Il paraît donc incontestable que les eaux achèvent de dessiner le relief du globe en modelant les vallées, les ravins, les gorges et les petits replis où descendent maintenant ruisseaux, torrens, rivières et fleuves. Toutefois, l’effet invariable de l’érosion étant d’arrondir les aspérités, d’adoucir les pentes, de niveler les inégalités, on comprendrait difficilement qu’elle ait pu tailler ces murs à pic, que l’on dirait coupés au fil d’une gigantesque épée. Une autre explication paraît plus plausible. Le Cervin, les crêtes du Mont-Rose et les montagnes voisines auraient constitué d’abord un immense massif de roches métamorphiques, un vaste plateau soulevé à une hauteur de 14,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Plus tard cette voûte solide, reposant sur le noyau en fusion du globe, se serait fracturée et disloquée par suite du retrait amené par le refroidissement. Elle se serait divisée en morceaux d’étendue inégale, en voussoirs énormes ayant chacun un mouvement libre et indépendant. Quelques-uns de ces voussoirs seraient restés en place en se relevant légèrement du côté du nord, comme l’indique la pente des couches qui inclinent vers le, sud-ouest, sous un angle d’environ vingt degrés. D’autres pièces de l’écorce terrestre se seraient affaissées, ouvrant ainsi de profondes vallées et laissant à nu les parois perpendiculaires du Cervin et les pentes abruptes du Mont-Rose. Ces sommets majestueux seraient donc les ruines d’un soulèvement primordial opéré par la force élastique du feu intérieur et modelé ensuite dans ses formes actuelles par l’action séculaire de l’air et des eaux. Tel est à