aucun vertige, quoiqu’elles ne pussent monter au sommet d’une tour sans en ressentir de très violens. Sans doute l’immensité des objets qui vous entourent diminue la proportion des abîmes au fond desquels on plonge les regards. L’œil habitué à des élévations de plusieurs milliers de mètres ne s’effraie plus d’une hauteur même perpendiculaire d’un millier de pieds. J’en ai fait moi-même l’expérience dans la Suisse saxonne, au haut du rocher de la Bastei, qui ne surplombe l’Elbe que de 1,100 pieds : j’y éprouvai un sentiment de malaise que je n’avais jamais ressenti dans les Alpes au sommet d’escarpemens bien autrement formidables.
Quoique le Gorner-Grat ait près de 10,000 pieds de haut, les dalles désagrégées du gneiss qui le constituent sont souvent dégagées de neige pendant les mois de juillet et d’août. Cela tient au niveau très élevé de la zone des neiges permanentes dans tout le massif du Mont-Rose. Du côté du Valais, cette zone commence à une altitude environ de 9,000 pieds, et sur le revers italien elle ne descend guère plus bas que 9,200 ou 9,300 pieds. Il en résulte qu’on trouve ici des chalets d’été à une altitude exceptionnelle dans les Alpes. Les chalets de Gabiet, près du col d’Ollen, sont situés à 7,300 pieds, — ceux de Felik, aux bords du Lys-Gletscher, à 7,800 pieds, et ceux de Fluh-Alp, au-dessus de Zermatt, près du glacier de Findelen, à 7,942 pieds. Dans le village même de Zermatt, la température moyenne est déjà rude ; elle ne s’élève pas même à 5 degrés du thermomètre centigrade. Ce n’est pas que le froid soit extraordinairement vif l’hiver, mais il dure longtemps. La terre est couverte de neige durant six mois, du 1er novembre au 1er mai. La première coupe de foin se fait d’ordinaire vers le 1er juillet. Le seigle ne mûrit pas avant le 20 août et l’orge avant le 1er septembre. La limite extrême des céréales va jusqu’à 6,100 pieds sur les croupes qui dominent immédiatement Zermatt, et celle des conifères à environ 6,900 pieds. Toute végétation cependant ne s’arrête point là ; quelques plantes phanérogames montent encore bien plus haut et croissent à plus de 2,000 pieds au-dessus du niveau des neiges éternelles. Les frères Schlagintweit en ont trouvé plus de dix espèces sur une paroi de rocher, au passage du Weissthor, à 11,138 pieds, et quelques-unes encore au-delà, sur une arête de gneiss, aux pentes mêmes du Mont-Rose, à 11,462 pieds, c’est-à-dire à plus de 2,000 pieds plus haut que la cabane des Grands-Mulets, aux flancs du Mont-Blanc. Ces petites plantes ont de fortes racines qu’elles enfoncent dans les fissures des rochers et un gros collet, entouré souvent d’une sorte de bourre, qui protège la vie végétative. Pendant leur été de deux mois, elles se hâtent de fleurir et de mûrir leurs graines, puis elles s’endorment pour dix longs