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pice couvert de glace et de neige, plus raide que le toit d’une cathédrale et d’une hauteur vertigineuse. Les Anglaises y passent néanmoins. Le soir, en arrivant chez Lochmatter, le fameux guide qui tient l’auberge du Monte-Rosa à Macugnaga, nous trouvâmes au souper un jeune couple en voyage de noces qui avait choisi ce chemin pour entrer en Italie.

C’est à Macugnaga seulement qu’on peut se faire une idée des vraies proportions du géant des Alpes pennines. Tandis que du côté de Zermatt il descend par étages successifs jusqu’au niveau du Gorner-Gletscher, ici ses parois verticales se précipitent à pic, d’une hauteur de 9,000 pieds, depuis ses quatre cimes visibles de ce point jusqu’au glacier qui s’étale à sa base. Nulle part, pas même, dit-on, dans les Cordillières, on ne rencontre d’aussi formidables escarpemens. Ce coin des Alpes est d’un aspect prodigieux. Le Rothhorn, la Cima-di-Jazzi, la Nord-Ende, la Ilôchste-Spitze, la Zumstein-Spitze, le Signal-Kuppe, la Cima-delle-Loccie et le Pizzo-Bianco, rangés en cercle, forment un cirque ou plutôt un entonnoir de rocs presque perpendiculaires dont le fond est occupé par un glacier aussi plane que la surface d’une baie congelée. Ce glacier, alimenté par les névés des cimes environnantes, pousse dans la vallée deux bras que sépare une ancienne moraine, composée de blocs immenses et ombragée de beaux mélèzes. Du haut de ce promontoire, justement appelé Belvédère, on embrasse dans son ensemble ce sublime tableau, dont aucune parole ne peut rendre la sauvage majesté.

Mais si l’on veut contempler et étudier de près ce monde-merveilleux des neiges éternelles et des glaciers en mouvement, il faut passer le col du Monte-Moro et pénétrer dans la vallée de Saas. La gorge qui s’ouvre au revers oriental du Mont-Blanc a reçu le nom de l’Allée blanche à cause du grand nombre de glaciers qui y descendent. La partie supérieure de la vallée de Saas mérite bien mieux ce nom, parce qu’ici les fleuves glacés qui s’y déversent né sont point cachés, comme près du lac de Combal, par leurs moraines latérales ; ils roulent jusqu’au bord du sentier que suit le voyageur leurs blanches pyramides. Il y a plus : l’un de ces glaciers, celui d’Allelin, a poussé ses masses jusqu’à l’autre côté de la vallée, arrêtant ainsi l’écoulement des eaux par une digue de glace et donnant naissance à un lac, le Mattmark-See. Un émissaire ouvert sous cette barricade laisse passer une partie de l’eau provenant de la fonte des neiges ; mais ce dangereux passage menace sans cesse les régions inférieures d’un désastre semblable à celui que le glacier de Getroz infligea en 1818 à la vallée de Bagne, quand un lac ainsi formé dégorgea en une demi-heure ses 500 millions de