Pendant cette saison, le Céphise, qui vient de loin, et qui recueille sur son parcours de nombreux affluens, grossit et diminue à plusieurs reprises, mais lentement chaque fois, progressivement, tout à fait comme nos grandes rivières. L’Hercyne au contraire possède l’allure brusque, furieuse, inattendue, des torrens ; elle se gonfle démesurément à chaque pluie, baisse presque subitement, et compte deux ou trois crues par mois, chacune de deux ou trois jours. Quant au Mélas, dont le parcours est très limité, il ne s’élève pas beaucoup au-dessus de son niveau habituel. Au volume d’eau considérable que ces trois rivières versent dans la plaine, il faut ajouter le tribut des pluies qui tombent sur le lac lui-même et celui. des torrens qui se précipitent de toutes les montagnes environnantes. Lorsqu’en outre le vent impétueux et tiède qui vient des gorges de la Phocide, et que les habitans appellent le Mégas, souffle prématurément et fait fondre plus tôt que de coutume les neiges du Parnasse, l’inondation atteint des proportions inaccoutumées.
Pendant la première période de l’inondation, les étroites fissures intérieures du Ptous livrent aux eaux, lorsque celles-ci ont atteint le niveau de leurs orifices, un débouché presque suffisant ; mais bientôt le lac s’emplit outre mesure, envahit la seconde zone, sur laquelle les bergers, quelques jours auparavant, conduiraient encore leurs troupeaux, et monte rapidement à une hauteur de 6 à 8 mètres au-dessus des katavothres les plus élevés, ainsi qu’on peut le constater aisément par l’empreinte que les eaux ont tracée sur les parois du rocher. À partir du mois de mars, les pluies cessent, les sources torrentielles tarissent, et, tandis qu’une partie des eaux s’écoule par la voie souterraine des émissaires naturels, une autre partie est restituée à l’atmosphère par l’évaporation. Ce n’est cependant qu’au mois d’août que l’inondation a complètement achevé son mouvement de retraite, et que le lac est transformé en marais par la stagnation des eaux, dont le niveau s’est abaissé au-dessous des katavothres les moins élevés. Alors, du sein de ces eaux fangeuses, les joncs et les roseaux mille fois variés, les fleurs et les plantes marécageuses de toute sorte, croissent avec une rapidité et une abondance qui tiennent du prodige.
Assainir et dessécher complètement le marais, faire sortir des fruits utiles et multipliés de ce sol dont la fertilité se révèle aujourd’hui par l’exubérance même d’une végétation nuisible, telle est la pensée dont l’initiative appartient aux anciens Grecs, et que les modernes ont reprise avec tous les moyens de succès dont leurs ancêtres étaient privés. Les riches perspectives qu’ouvrirait l’exécution de ce projet ont tenté les Turcs eux-mêmes ; on nous a raconté qu’un riche aga de Livadie eut la témérité méritoire de commencer