l’exploitation de ce territoire. Aujourd’hui les habitans disséminés sur les bords fiévreux du lac ne dépassent point le nombre de 3,500 ou 4,000. Il faut bien croire que quelques peuplades des environs abandonneront leurs sommités arides et leurs roches escarpées, et se laisseront attirer dans la plaine par la perspective d’une existence plus aisée ; mais ces déplacemens ne répondront pas aux exigences d’une culture aussi étendue. Où donc la Grèce trouvera-t-elle les élémens de cet accroissement de population nécessaire ? Ce sera non dans son sein, très insuffisamment peuplé, mais dans la Turquie même, parmi les populations chrétiennes de la Macédoine, de l’Épire, de la Thessalie, qu’elle les recrutera. Ces tribus forment, une population laborieuse et représentent seules en Turquie l’activité, l’intelligence, la vie ; elles aspirent toutes au bienfait de l’indépendance et cultivent à regret un sol qui ne leur appartient pas. Soumises à un joug barbare, condamnées aux mille tribulations des raïas, incertaines du lendemain, exposées à perdre à chaque instant le fruit de leurs labeurs par le caprice, le fanatisme ou l’avidité d’un officier de la Sublime-Porte, elles ne demanderont pas mieux que de transporter leurs pénates sur le sol de la Grèce affranchie le jour où celle-ci leur fera entendre un sérieux appel, et pourra, en les établissant sur des terres salubres et fertiles, leur assurer un travail productif en même temps que la liberté. Déjà un fait pareil s’est passé non loin de là, dans l’île d’Eubée, où un grand nombre de familles grecques de la Macédoine et de l’Épire sont venues se fixer après les guerres de l’indépendance et plus tard à la suite de l’insurrection de 1854. Il n’est pas douteux que ce mouvement d’immigration de la Grèce asservie au sein de la Grèce libre ne se reproduise et ne prenne une ferme consistance, lorsque les grands travaux dont nous parlons auront, dans les étroites limites même du royaume actuel, créé de nouveaux espaces et ouvert de nouveaux domaines à l’activité des hommes. Favoriser ce mouvement par tous les moyens possibles, offrir à cette portion de la race grecque qui gémit encore sous le joug musulman des foyers, des champs, en échange de la servitude, l’appeler tout à la fois à jouir du bienfait de l’émancipation et à coopérer à l’œuvre de la régénération nationale, transplanter sur son propre territoire les derniers germes de vie que possède encore l’empire ottoman, n’est-ce pas la guerre la plus redoutable et la plus dangereuse pour son adversaire, la plus fructueuse pour elle-même, que la Grèce puisse déclarer à, son éternelle ennemie ?
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