le droit de pâture dans les forêts et sur les terres incultes de l’état à la condition de ne plus pousser leurs pérégrinations hors des limites du royaume ; mais comment s’assurer que, l’été venu, ces tribus, possédées par la passion du changement, ne franchiront pas les frontières helléniques et ne s’en iront pas, contrairement à leur promesse ; chercher une fraîcheur plus grande et de nouveaux horizons sur les alpes plus élevées de l’Epire et de la Thessalie ? Le paysan grec s’imagine volontiers qu’un mobile mystérieux préside à leurs perpétuelles migrations, et que c’est à cause d’un crime commis à l’origine par quelqu’un de leurs ancêtres qu’ils sont condamnés aux tristesses et aux fatigues d’une destinée errante. Il croit que ces hommes puisent dans leurs lointains voyages la connaissance de l’avenir et la science des sortilèges, qu’ils guérissent ou font naître les maladies à leur gré, et qu’ils s’entretiennent familièrement avec les êtres surnaturels. Nous avons souvent rencontré de ces pasteurs au moment où l’automne commençait à les chasser des hauteurs ; assis sur les rochers, surveillant leurs troupeaux, plongés en apparence dans une rêverie profonde, ils semblaient ne pas nous apercevoir, et s’il nous arrivait de leur demander notre chemin, ils nous l’indiquaient du doigt sans mot dire. Ils savent pratiquer cependant l’hospitalité et reçoivent avec sympathie le voyageur sous leur tente noire, faite de poil de chèvre grossièrement tissé par leurs femmes. Pour le lait et le yaourt[1], seule nourriture qu’ils puissent lui offrir, ils n’acceptent jamais aucun paiement, persuadés que l’argent qui leur viendrait ainsi leur porterait malheur.
Ces nomades ne sont pas seuls en Grèce à élever des troupeaux. Les habitans de l’Acarnanie et de l’Étolie s’adonnent volontiers à cette éducation, qui ne contrarie nullement leurs goûts d’indépendance et d’oisiveté. Il y a dans ces provinces certains villages qui possèdent jusqu’à dix mille têtes de bétail. Tous ces pasteurs, nomades ou sédentaires, se réunissent à certaines époques de l’année à Karpénisi et y font, pendant quelques semaines, un commerce considérable de laines et de bestiaux. Ces sortes de foires sont aussi l’occasion de nombreux échanges entre les habitans de tous les districts environnans, qui accourent en foule à ces rendez-vous commerciaux, accompagnés de fêtes populaires et appelés par les Grecs panighyri.
Au sortir de cette station importante, le chemin de fer passe du bassin de l’Acheloüs dans celui du Sperchius, et s’enfonce de plus en plus dans la région des hautes montagnes, pour atteindre Lamia, capitale de la Phthiotide. C’est la portion la plus difficile
- ↑ Sorte de fait caillé dont l’usage est très répandu en Orient.