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tique, un élan de foi profonde. M. Fitzgerald les a fort bien nommés des sermons dramatiques ; ce sont en effet des exercices littéraires et philosophiques qui sentent leur futur romancier. D’ordinaire, Sterne évite de prendre des textes trop abstraits et trop purement moraux, il préfère choisir une anecdote, un personnage dans l’un ou l’autre des deux Testamens. Il ne pénètre pas d’emblée dans les questions morales, il y pénètre à la suite des caractères qu’il choisit pour guides, et il ne voit d’elles que les parties qui se rattachent à ces caractères. Ainsi dans l’histoire de Joseph il sera frappé par ce fait qu’après la mort de Jacob ses fils, depuis longtemps pardonnés par Joseph, eurent peur cependant qu’il ne voulût se venger d’eux ; alors il se mettra à réfléchir sur la difficulté que l’offenseur en général éprouve à croire au pardon et sur les raisons qui le portent à ce doute, et il écrira un sermon qui est la paraphrase de ce proverbe italien : chi offende non perdona. Une autre fois il se prend à réfléchir que le patriarche Jacob a été sans contredit l’homme le plus malheureux de la terre, et il en fait un exemple d’édification pour les chrétiens qui se plaignent trop légèrement des maux de la vie, mais cela à la dernière extrémité, et lorsqu’il a considéré tout à loisir la beauté dramatique de cette histoire. C’est ainsi encore qu’ayant pris pour sujet l’histoire du lévite d’Éphraïm, il s’oubliera tout à fait à expliquer et à justifier la conduite du lévite. Ce sermon, un des plus étranges qu’on ait jamais prêches dans une église chrétienne, est, comme on le voit, d’un caractère tout à fait shandyen. Si l’on me demandait de nommer le plus remarquable de ces sermons, où le plaisir littéraire et la curiosité psychologique trouvent mieux leur compte que la ferveur religieuse, j’indiquerais celui qu’il prêcha sur le caractère de Shimei, cet insulteur hébraïque que la Bible nous montre poursuivant le roi David en lui jetant de la poussière dans un de ses jours de détresse et accourant un des premiers, sa rencontre dès qu’Absalon est vaincu. A propos de ce caractère, qu’il connaissait si bien, Sterne s’élève à une véritable éloquence : « Il n’y a pas de caractère qui ait sur les affaires du monde une aussi détestable influence que celui de Shimei,… et aussi longtemps que des âmes indignes seront aussi des âmes ambitieuses, c’est un caractère dont nous ne manquerons jamais. Oh ! il infeste la cour, les camps, le cabinet, il infeste l’église : allez où vous voudrez, dans chaque quartier, dans chaque profession, vous trouverez un Shimei suivant les roues du favori de la fortune à travers la boue épaisse et l’argile fangeuse. » Ce sont quelques pages très belles, et qui valent la peine d’être lues.

Quandon examine attentivement le caractère de Sterne, on com-