Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/989

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montrant que l’intelligence va en se dégradant toujours dans les diverses races humaines, et qu’aux plus bas degrés elle est à peine supérieure à celle du singe ou de quelque autre animal. Je ne voudrais pas être obligé d’aborder incidemment une question des plus difficiles et des plus complexes, celle des différences de l’homme et de l’animal. Cette question mérite d’être examinée en elle-même et non comme un épisode. Deux mots seulement pour répondre à l’objection précédente. En admettant (ce qui du reste ne peut être contesté) que certaines races ont moins d’aptitude que d’autres à la civilisation, et restent dans un état très inférieur, on ne peut nier que dans ces races elles-mêmes tel ou tel individu ne soit capable de s’élever au niveau moyen des autres races, et quelquefois même à un rang très distingué. C’est ce qui est prouvé pour la race nègre ; c’est ce qui serait prouvé, sans doute aussi pour d’autres races, si elles étaient depuis plus longtemps en contact avec la nôtre, et si les blancs s’occupaient de les améliorer, au lieu de les corrompre et de les exterminer. M. de Quatrefages, dans ses travaux sur l’unité de l’espèce humaine, a montré que l’on avait beaucoup exagéré la stupidité des races australiennes. Nous lisions dernièrement dans la Revue même le récit d’un courageux voyageur américain qui a passé deux ans dans le commerce intime des Esquimaux, partageant leurs mœurs, leur vie, leur langue. Un tel fait n’indique-t-il pas qu’il y a entre les degrés les plus distans de l’espèce humaine un lien fraternel ? car qui eût pu supporter une pareille existence avec une famille de singes ? Nous voyons d’ailleurs dans cette histoire, par l’exemple du bon Ebierbing et de sa femme Tookoolito, surtout de celle-ci, que ces humbles créatures ont une certaine aptitude à la civilisation qui ne demanderait qu’à être cultivée[1].

D’ailleurs, pour pouvoir nier d’une manière absolue l’aptitude de telle ou telle race à la civilisation, il faudrait faire des expériences qui n’ont pas été convenablement faites, parce qu’elles sont très difficiles. Il faudrait, par exemple, choisir chez ces races sauvages et infirmes un enfant à la mamelle, et, le transportant en Europe, l’instruire à la manière des nôtres et voir s’il pourrait s’élever au niveau de nos propres enfans. Je n’hésite pas à penser que dans ces conditions un enfant de n’importe quelle race (à moins qu’il n’appartînt à une variété maladive[2], ce dont il faudrait tenir compte), ne fût susceptible d’un développement intellectuel peu différent de celui des autres, races[3] ; mais, sans faire de telles hypothèses, on

  1. Voyez la Revue du 1er mai.
  2. Voyez, sur les variétés maladives, le livre curieux et original du docteur Morel sur les Dégénérescences dans l’espèce humaine, Paris, 1857, avec atlas.
  3. J’ajoute que, pour que l’expérience fût complète, il faudrait un couple et poursuivre les mêmes études sur plusieurs générations en évitant tout croisement.