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où le connétable de Montmorency, chargé de la répression, s’était montré terrible[1]. Vers la fin de mars 1675, à l’occasion de quelques nouveaux édits sur le tabac, le papier timbré et la marque de la vaisselle, la populace du quartier Saint-Michel pilla les boutiques de plusieurs potiers d’étain, auxquels elle ne pardonnait pas d’avoir laissé marquer leur marchandise. On sonna le beffroi, et des bandes furieuses parcoururent les rues, criant : « Vive le roi sans gabelles ! » et assommant ceux qui refusaient de crier. Le subdélégué de l’intendant, qu’elles rencontrèrent, leur ayant tenu tête, elles l’assassinèrent, mirent son corps dans un carrosse, et le brulèrent. Un conseiller au parlement essaya de leur faire des remontrances ; il fut tué à la porte de sa maison, sous les yeux de sa femme, qui courut elle-même les plus grands dangers. Maîtres de Bordeaux sur tous les points, les rebelles n’écoutèrent plus rien. On leur avait fait quelques prisonniers, déposés au Château-Trompette : ils en exigèrent la restitution, menaçant, si leur demande était repoussée, de mettre le feu aux quatre coins de la ville ; ils exigèrent également une amnistie générale, absolue. Il fallut enfin, car ils auraient pu massacrer la plupart des fonctionnaires, réfugiés avec leurs femmes à la citadelle, leur promettre l’abolition de tous les droits contre lesquels ils s’étaient soulevés.

Jamais, depuis la fronde, le gouvernement n’avait subi pareil échec. Le 24 avril 1675, l’intendant de Sève fit connaître à Colbert les motifs de son inaction et les ménagemens qu’il était, bien malgré lui, tenu de garder. Il l’informait que les artisans de Bordeaux, assez calmes la semaine précédente, paraissaient s’agiter. Recherches faites, et après avoir conféré avec quelques chefs, il s’était assuré que les procureurs, les huissiers et les notaires travaillaient à entretenir le feu. On avait cependant insinué au peuple que, s’il voulait s’assurer l’exemption des droits qui se levaient sur le blé, sur le lard et sur les agneaux, ainsi que la suppression de ceux sur le tabac et l’étain, il n’avait qu’à demander le rétablissement du papier timbré, du contrôle et des greffes des arbitrages, qui ne le touchaient en rien. Les syndics des corps de métiers, qui avaient pris la plus grande part aux désordres, étaient bien disposés, et ils comptaient sur les artisans ; mais en une nuit tout était changé, et les notaires, procureurs et huissiers avaient décidé la populace à ne souffrir aucun changement à l’arrêt du parlement qui avait apaisé la sédition. « Ce que je trouve de plus fâcheux, ajoutait

  1. Il entra dans la ville par une brèche, à la tête d’un corps de dix mille hommes, la désarma, et fit exécuter plus de cent personnes, au nombre desquelles figuraient les principaux magistrats et bourgeois de la cité. Heureusement Henri II finit par intervenir. et arrêta le farouche connétable dans ses exécutions.