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Sorte qu’on voit tout ces miséfables, femmes accouchées, vieillard, enfans, errer en pleurs au sortir de la ville, sans savoir où aller, sans avoir de nourriture ni de quoi se coucher. »

La Bretagne et la ville de Rennes, en particulier n’étaient-elles pas suffisamment châtiées ? Il paraît que non, car le duc de Chaulnes, qui dans les commencemens accusait le parlement de pactiser avec la révolte, fut, malgré l’impopularité dont il était l’objet, accusé à son tour de mollesse et d’indulgence. Désireux de rester dans la province et voyant combien déjà il était exécré, il craignit de s’y rendre impossible, si la répression était prolongée, et il demanda que les six mille hommes du bailli de Forbin fussent rappelés[1]. Ce ne fut pas l’opinion de la cour, qui, trouvant au contraire, sur avis de quelque dénonciateur zélé, que ces groupes avaient trop ménagé les habitans, les remplaça par dix mille hommes tirés pendant l’hiver de l’armée du Rhin, si connue par ses cruautés. Un maître des requêtes, M. de Pommereu, plus sévère sans doute que M. de Marillac, en prit la direction. On se représente les excès auxquels ils se portèrent. Le duc de Chaulnes au moins avait eu le soin de donner les ordres les plus rigoureux contre les soldats qui molesteraient les bourgeois, et l’un d’eux avait même été fusillé pour l’exemple. Au lieu de punir les violences, on les encouragea. Ecoutons encore Mme de Sévigné. « Tout est plein de gens de guerre… Il s’en écarte qui vont chez les paysans, les volent et les dépouillent. C’est une étrange douleur en Bretagne que d’éprouver cette sorte d’affliction, à quoi ils ne sont pas accoutumés… » Puis encore, le 5 janvier 1676, « pour nos soldats, ils s’amusent à voler ; ils mirent l’autre jour, un petit enfant à la broche. » Et le fils de la marquise, un ancien soldat, d’ajouter : « Toutes ces troupes de Bretagne ne font que tuer et voler. » Plusieurs témoins oculaires confirment ces tristes faits. « Tous les soldats, dit l’un d’eux, ont tellement vexé les habitans qu’ils ont jeté leurs hôtes et hôtesses par les fenêtres après les avoir battus et excédés, ont violé des femmes, lié des enfans tout nus sur des broches pour les faire rôtir, rompu et brûlé les meubles, exigé grandes sommes, et commis tant de crimes qu’ils égalent Rennes à la destruction, de Jérusalem. »

Heureusement la campagne allait se rouvrir sur le Rhin, et le

  1. Le duc de Chaulnes avait de bonnes raisons de vouloir rester en Bretagne malgré les déboires qu’il avait eus de la province et de la cour. L’extrait suivant de Dangeau est édifiant. — 6 novembre 1692. « Les armateurs de Bretagne ont fait tant de prises depuis la déclaration de la guerre qu’on croît que M. de Chaulnes a eu pour sa part 8 ou 900,000 francs. Il a le dixième, ayant les droits d’amirauté attachés au gouvenement de la province. »