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roi n’avait pas trop de toutes ses troupes. L’armée de Bretagne fut rappelée. Le lendemain 1er mars 1676, le parlement, exilé à Vannes, enregistrait des lettres d’amnistie. Cent soixante-quatre exceptions étaient faites à l’égard d’individus particulièrement compromis, ont quelques-uns furent plus tard appréhendés, jugés, exécutés. La ville de Rennes seule comptait cinquante-six exclus, parmi lesquels figuraient des gens de métier, un gentilhomme, un notaire et quatorze procureurs ou clercs de procureur, preuve, évidente de l’influence que l’impôt du papier timbré avait eue sur les événemens. On croira sans peine quel le souvenir de ces représailles laissa des traces profondes dans les esprits. Le pillage des châteaux et la crainte incessante pendant plusieurs mois de voir la populace des villes se porter à tous les excès la province entière, livrée à toutes les violences du soldat, tant de malheureux roués et pendus le pays ruiné, frappé coup sur coup de contributions extraordinaires, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfans chassés de leurs foyers, il n’en fallait pas tant pour que la révolte du papier timbré restât profondément gravée dans tous les souvenirs. Les plus punis furent encore les habitans de Rennes à cause de l’exil prolongé du parlement. Vainement sollicitaient-ils son retour en protestant de leur fidélité ; les supplications et les protestations ne suffirent pas. Il fallut que la coalition de 1687 éclatât, et que la ville ajoutât à toutes ses promesses le poids d’une contribution nouvelle de cinq cent mille, livres, qui ne lui parut pas exorbitante, s’il faut en juger par la joie qu’elles éprouva en voyant enfin revenir dans ses murs (février 1690) ces robes rouges, symboles de son antique splendeur, exilées depuis quatorze ans.

Comment s’étonner de ces mouvemens de l’opinion ? L’attachement passionné des pays d’état à leurs vieilles institutions avait des causes nombreuses et diverses par lesquelles s’expliquent bien des exagérations, payées depuis d’un anéantissement complet qui commence à paraître regrettable. La preuve, manifeste à tous les yeux, que les impôts y étaient moins lourds et plus équitablement répartis, les routes plus nombreuses et mieux entretenues que dans les pays d’élection, pour qui ils étaient un objet d’envie, le déplaisir évident avec lequel les ministres subissaient les assemblées provinciales, le soin de les soustraire aux grands courans d’opposition en les faisant siéger dans les moindres localités et de les renvoyer le plus tôt possible,[1], voilà bien des raisons pour que les Bretons, vissent revenir à Rennes au milieu de l’allégresse gé-

  1. Le ministre Pontchartrain disait naïvement, au sujet de la fin des états, que c’était « la fin de toutes agitations et de tout genre de chagrin pour un honnête homme. »