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ska, mère de huit enfans ; on emprisonna des hommes respectés, tels que le comte Tarnowski, que nous ne pouvons nous souvenir sans émotion d’avoir connu à Paris en 1863. Depuis ce temps, ces victimes des tergiversations et d’une réaction de la politique autrichienne souffrent dans les cachots. Comment a-t-on pu prolonger cette persécution au-delà des circonstances critiques qui en furent le prétexte ? Comment le nouveau cabinet, qui n’est pour rien dans les variations du ministère précédent, pourrait-il accepter le déplorable héritage d’une répression arbitraire et impitoyable ? Le nouveau gouvernement autrichien a publié en Galicie une petite amnistie au profit des condamnés qui n’avaient prêté aux volontaires polonais qu’un asile provisoire, ceux qui avaient gardé plus longtemps chez eux les volontaires n’ont point été compris dans cette amnistie. C’est en faveur de ceux-ci que nous élevons la voix ; c’est bien plus encore dans l’intérêt du gouvernement autrichien que nous réclamons leur élargissement. Nous voudrions que ce gouvernement ne perdit point le fruit de ses bonnes intentions par des demi-mesures, et comprit qu’il n’y a de clémence habile et efficace que celle qui est franche et complète.

Nous ne voyons pas non plus quel service la cour de Tienne croirait rendre à la Russie en se montrant cruelle pour ses sujets galiciens. Nous faisons au gouvernement russe, qui est après tout un grand gouvernement, l’honneur de croire qu’il n’a pas des passions de tyranneau, et qu’il ne se plaît point à exercer ses vengeances par commission et procuration. En Russie même, les passions de 1863 ont eu le temps de se refroidir, et le gouvernement de l’empereur Alexandre peut porter son attention sur des objets moins déplaisans que la poursuite d’une répression acharnée. De temps à autre, il arrive maintenant de Russie des informations auxquelles l’Europe peut prendre intérêt. Aujourd’hui nous apprenons que l’empereur Alexandre a décidé des réductions considérables dans l’effectif de son armée. Le tsar prend là une initiative qui l’honore, et donne un exemple dont devraient profiter les grandes puissances continentales. Il y a peu de jours, le télégraphe annonçait la création en Russie d’une grande institution de crédit foncier. On voit que les préoccupations dominantes se sont modifiées à Saint-Pétersbourg. Le crédit foncier ramène naturellement la pensée sur les effets de l’abolition du servage, grande résolution que l’Europe avait accueillie avec sympathie, mais dont les suites lui ont nécessairement échappé au milieu des complications survenues depuis trois ans. L’abolition du servage a produit en Russie dans la propriété territoriale une crise dont il importerait de connaître les résultats. La propriété en Russie jouissait autrefois de grandes facilités de crédit, et nous nous souvenons que les statisticiens estimaient à un milliard de roubles les prêts qu’elle avait reçus des banques nationales. La valeur des propriétés s’établissait autrefois sur le nombre des serfs qui y étaient attachés, elle se calculait par nombre d’âmes. Qui ne se souvient à ce propos du curieux roman de Gogol, les Ames mortes ? C’étaient donc les âmes qui formaient le gage du