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crédit, et depuis l’abolition du servage les âmes sont bien mortes pour les propriétaires. Une large institution de crédit foncier peut donc remplir une fonction très importante et plus efficace en Russie qu’en aucun autre pays. Au moment de la transformation qu’y subit la propriété, elle peut faire passer d’un régime suranné aux conditions du régime de crédit qui est eu vigueur en Europe les richesses territoriales, encore si incomplètement exploitées, de ce vaste empire.

En Amérique, la période de transition ouverte par l’abolition de l’esclavage dans les états soumis du sud semble vouée à une longue et pénible confusion. On ne peut savoir encore jusqu’à quel point les nègres se prêteront au travail salarié, ni dans quelle mesure les propriétaires appauvris pourront faire au travail libre les avances de capitaux qui lui sont nécessaires ; puis aux difficultés économiques se mêlent les difficultés politiques. La reconstruction des états du sud ne s’accomplissant point sur un plan unique, ces états restant en possession de leur autonomie et traçant eux-mêmes les dispositions de leurs constitutions futures, d’étranges diversités se produiront dans la condition politique des anciens esclaves. Ici les nègres auront le droit de suffrage, là la capacité électorale leur sera refusée. Avant que ces flots troublés aient repris leur niveau, il faut s’attendre à de longues tourmentes. Il y aurait de quoi douter de la bonne issue de ce travail de rénovation, si l’on n’avait affaire à la fougueuse énergie du caractère américain, accoutumé à mépriser et à vaincre tous les obstacles. Le général Sherman, il y a peu de temps, donnait à Saint-Louis dans une réunion publique un curieux aperçu des robustes qualités de ce caractère en racontant la guerre qui vient de finir. Le héros de la campagne de Géorgie expliquait la stratégie de cette guerre avec une vivacité expressive, une clarté pittoresque et une rare modestie. Suivant lui, l’affaire capitale de la guerre a été la campagne du Mississipi. Avec une franchise équitable, il a fait honneur de l’inspiration qui décida la campagne au général Halleck, celui-là même dont il a eu récemment à se plaindre et qu’il a peu ménagé dans son récent séjour à Washington. La première action de cette campagne fut le combat de Pittsburg-Landing, où les généraux fédéraux Sherman et Grant, alors jeunes et inconnus, se mesurèrent avec un des plus renommés généraux confédérés, le général Sidney Johnson. Les fédéraux restèrent maîtres du champ de bataille, et cette première victoire ouvrit la série ininterrompue de leurs succès. Puis commencèrent les longues manœuvres et les lentes opérations contre Vicksburg, la forteresse qui était la clé du Mississipi central. Vicksburg fut pris, et alors, comme le rappelle Sherman, M. Lincoln put dire : « Le Mississipi coule maintenant libre jusqu’à la mer. L’erreur des confédérés, la faute surtout de leur chef, M. Jefferson Davis, fut de ne pas comprendre d’abord que le Mississipi empochait la coexistence de deux confédérations séparées, qu’il était pour chacune d’elles d’un intérêt essentiel et absolu de le posséder, que par conséquent la guerre durerait tant que l’un des états rivaux ne se